Tunisie – Mohamed Adel Ben Ismaïl, président de la Commission de la confiscation : “Aucun bien acquis honnêtement ne sera spolié”


adel_ismaiil-13072011-art.jpgNon, il ne s’agit pas d’inquisition. Il s’agit tout simplement de rendre à César
ce qui est à César et en bonne santé, s’il vous plaît. Les entreprises ou
groupes classés définitivement comme étant des biens mal acquis par la
Commission de la confiscation doivent être récupérés intacts par les autorités
publiques et leur poids dans l’économie doit être préservé. Ils ne doivent
surtout pas être dévalorisés pour être vendus aux plus offrants au moindre prix.
C’est à cela que s’attelle, entre autres, la Commission des confiscations
présidée par Mohamed Adel Ben Ismaïl sans oublier sa mission la plus importante:
démêler les enchevêtrements d’opérations d’acquisitions, de constitutions ou de
créations de biens dont la provenance est sujette à plus d’un doute ou encore
innocenter ceux d’honnêtes origines..

WMC: Nombre parmi les élites économiques se sont trouvées, malgré elles,
associées à l’ancien régime et judicieusement impliquées dans ses affaires en
tant que sociétés écrans, ou en tant que partenaires. Les commissions
constituées après la révolution pour démêler le vrai du faux et déterminer le
bien mal acquis du bien légalement et surtout légitimement acquis, les
inquiètent car ils ont peur d’être des victimes de mauvaises interprétations ou
d’être jugées coupables avant l’aboutissement des enquêtes. Qu’en pensez-vous?

Mohamed Adel Ben Ismaïl: Le décret présidentiel ne l’a pas cité expressément
mais il a bien signifié qu’il s’agit, en ce qui concerne notre commission, de
confisquer les biens mal acquis. En 1956, un décret a également ordonné la
confiscation des biens du bey. La volonté du législateur a été clarifiée suite à
la promulgation des décrets d’application le 31 mai qui stipulent expressément
que les biens hérités ne doivent pas faire partie des biens saisis. La question
qui se pose aujourd’hui pour la commission est de savoir de quels biens il
s’agit exactement. Nombre de jurisconsultes essayent aujourd’hui de définir le
sens exact qui doit être apporté aux biens hérités. Car si ces biens immobiliers
ou mobiliers ont été réinvestis dans un projet ou une entreprise, il faudrait
que la croissance du projet lui-même ait été logique et non pas démesurée et en
la matière, ce sont des experts qui pourront statuer. Ce qui est sûr, c’est que
nous nous efforcerons de ne léser personne et surtout de ne spolier aucun bien
acquis légitimement par qui que ce soit.

Si vous estimez que des sociétés faisant partie d’un groupe confisqué n’ont pas
été mal acquises, seriez-vous prêts à les libérer?


Je voudrais tout d’abord affirmer que notre commission ne vise aucunement la
paralysie de la dynamique économique de ces groupes. Tout au contraire, nous
visons à préserver et à restituer à l’Etat les biens engendrés de manière
illégitime en bon santé. Dans le cas où les investigations, l’historique et le
traçage des patrimoines en question prouveront la légalité et la légitimité de
leur provenance, nous les rendrons à leurs propriétaires initiaux. Et
d’ailleurs, nous sommes en train de traiter avec les entreprises des groupes en
question au cas par cas, et si l’une d’elle a été bien acquise, elle est tout de
suite exclue du groupe. Notre but est de rendre justice.

Ces groupes et ces entreprises confisqués souffrent de problèmes avec les
banques, lesquelles sont devenues très réticentes quant à leur financement, sans
parler de leur image face à leurs partenaires, qu’ils soient clients ou
fournisseurs.

Il s’agit là de la lecture qu’il faut apporter au décret sur la confiscation.
Certaines institutions bancaires ont, elles-mêmes, peur d’être questionnées à
propos de leur respect ou pas des procédures dans l’octroi des crédits aux
entreprises confisquées. Parfois, on accuse les banques d’abus de garanties,
dans d’autres, il est fort possible qu’elles n’en aient pas pris assez ou pas du
tout et dans ce cas, elles doivent assumer leurs responsabilités. C’est
d’ailleurs ce qui les fragilise aujourd’hui, leurs rapports avec les groupes en
question et accroît leurs désirs protectionnistes et frilosité. Conséquence,
elles sont plus agressives dans leur volonté d’être remboursées et moins
conciliantes dès qu’il s’agit d’accorder de nouveaux crédits.

Il s’agit aussi pour ces banques de créer de nouveaux équilibres, leur réticence
peut s’expliquer par la peur que les entreprises confisquées ne puissent plus
être aussi performantes ou rentables.

J’estime pour ma part que c’est une erreur monumentale. Car si les banques
essayaient de traiter avec les entreprises, solides dans leur grande majorité,
au cas par cas et opération par opération, elles œuvreraient à coup sûr à les
préserver. D’autant plus que dans certaines opérations, leur solvabilité est
plus que certaine.

La BCT a elle-même appelé les banques à soutenir les entreprises qui ont
souffert des derniers événements dans le pays afin de leur permettre de
poursuivre leurs activités tout en priant les banques de lui transmettre à
chaque fin du mois, une liste des entreprises concernées.

La
BCT appelle les banques à lister les entreprises en difficulté et lui en
référer. N’est-il pas plus simple et plus rapide pour les banques de prendre
aujourd’hui d’elles mêmes les décisions de financer celles qui sont solides et
solvables sans passer par la BCT?

Pour préserver ces importants groupes économiques, il faut que les banques, qui
connaissent très bien leurs clients, fassent plus d’efforts. Car après la
confiscation, les perspectives de succès des entreprises restent intactes. La
communication entre les différents vis-à-vis, à savoir la Commission, les
institutions bancaires, les tribunaux et les entreprises, doit être plus
efficace et plus consciencieuse. C’est par le débat constructif et ouvert que
nous pouvons préserver les intérêts des entreprises, de l’économie et bien
entendu du pays. Chacun de nous a une responsabilité dans la défense des
intérêts de ces entreprises qui appartiennent aujourd’hui à la nation et doivent
garder leur poids. Les décideurs du secteur bancaire doivent être audacieux
parce que l’intérêt de rapports plus souples avec les entreprises «confisquées»
est beaucoup plus important, aussi bien pour eux que pour les entreprises, que
celui de rester dans l’expectative ou d’être dans l’attentisme total.

Est-il normal qu’une entreprise qui sollicite une caution bancaire pour
participer à un marché soit bloquée, pour des raisons non justifiées? Il faut de
l’audace et de l’assurance pour approuver ce genre d’opérations d’autant plus
qu’il existe des procédures telles que les domiciliations du marché. Une caution
de 200 mille dinars peut faire perdre à l’entreprise un marché de 7 MDT. C’est
inacceptable! Les managers actuels des entreprises confisquées appellent les
banques à respecter les modalités et les accords signés auparavant avec eux.

Les listes, une épée de Damoclès qui pèse sur la tête des entrepreneurs. Ils ont
peur et se replient sur eux-mêmes refusant d’investir et de s’investir avant
d’être sûrs qu’ils n’y figurent pas. Comment les rassurer?


Cette inquiétude est légitime mais n’est pas justifiée lorsqu’on est intègre.
D’autant plus que près de 95% des entreprises confisquées ont été impliquées
d’une manière ou d’une autre dans des actes illicites allant du délit d’initié
au passe-droit et passant par la concurrence déloyale, ce qui leur a permis de
réussir aux dépends d’autres qui n’ont pas bénéficié d’autant de privilèges.
Ceci dit, ceux qui n’ont rien à se reprocher, ne doivent pas s’alarmer. Notre
Commission ne fait pas de chasse aux sorcières et ne cherche pas la petite bête
aux opérateurs privés. Au contraire, nous œuvrons pour la justice et l’équité et
nous ne ferons rien qui puisse léser un opérateur. Ceci étant, il ne faut pas
anticiper les décisions de la commission. Il ne faut pas non plus considérer que
nous détenons un droit de vie ou de mort sur les entrepreneurs qui n’ont rien
commis d’illégal. Les médias parlent de nouvelles listes, mais en ce qui nous
concerne, nous ne publierons rien sans que nous apportions des preuves tangibles
de l’implication des uns ou des autres.

Certains avocats prétendent que ces entreprises ont tout fait dans la légalité.
Les contrats ont été signés dans le respect des procédures, et ce que ce soit
dans le cadre de transactions avec les autorités publiques ou celles entre
privés. Comment dans ce cas déterminer le vrai du faux sans impliquer
l’Administration?


Je ne pourrais répondre à cette question qu’après avoir étudié les entreprises
une par une. Ceci étant, il y a une différence entre la légalité et la
légitimité. Les opérations de privatisation représenteront une occasion pour
nous de savoir ce qui a été légal de ce qui ne l’a pas été. Le capital des
entreprises et des biens confisqués égale le quart de l’économie du pays. Ceux
qui prouveront le bien-fondé et la provenance légale de leurs dus, ne seront pas
inquiétés. Ceux qui seront prouvés coupables d’avoir abusé des biens publics et
de s’être enrichis de manière illicite verront ces biens restitués à qui de
droit, ce n’est que justice.