Naguère chasse-gardée de la crème de la garde rapprochée du régime déchu, qui a
enserré toutes les autorisations liées à l’émergence des radios et des
télévisions privées dans un réseau familial restreint, fondé sur la nébuleuse
des agents d’influence et des lobbyistes organisés, le paysage audiovisuel
tunisien a sombré, de ce fait, depuis des années, dans le clientélisme, le
favoritisme et la partialité. Ce qui devrait donner, déclarent certains
observateurs, du grain à moudre à l’Instance nationale pour la réforme de
l’information et de la communication, censée, après la révolution, se donner des
leviers pour achever de sortir le secteur de son sac de cendres, consacrer la
rupture avec un passé honni, assainir un 4ème pouvoir, embourbé dans
l’autocensure, revitaliser la notion du mérite parmi les développeurs potentiels
et ancrer, dans cette période transitoire, des règles de jeu équitables liées à
la transparence et à la libre concurrence.
«L’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication,
dont la raison d’être est la promotion d’un espace audiovisuel varié,
multiculturel et pluraliste, à l’image de la société tunisienne
postrévolutionnaire, n’a mis en œuvre ni cahier de charges ni des critères
objectifs et mesurables pour départager les 72 candidats désireux d’émettre sur
la fréquence FM en dépit du nombre limité des fréquences disponibles», nous dit
Rafik Amara, ancien PDG d’ART en Afrique du Nord et porteur d’un projet de radio
généraliste et commerciale, pour qui la publication récente d’une liste de 12
stations radiophoniques recommandées au Premier ministère était une entorse au
rôle initial de l’Instance nationale, supposée, dit-il, présenter des critères
d’acceptation et des normes de fonctionnement et non pas des «oukases» et des
tris définitifs, provoquant un malaise certain parmi les prétendants et une gêne
perceptible à la Kasbah.
Au fait, dès sa constitution au début du mois de mars 2011, des voix se sont
élevées contre la présence en tant qu’expert de Maher Abderhmane, qui a
bénéficié, durant l’ancien régime, de l’utilisation de la SNG, monopole de
l’Office national de transmission (ONT), au sein de l’équipe de Kamel Labidi
dont la crédibilité vient d’être fortement ébranlée avec l’issue de son bras de
fer avec les dirigeants de la radio Kalima, consacrés vedettes de la société
civile tunisienne après un long combat contre Ben Ali, pour qui l’obtention
d’une autorisation doit être une simple formalité, un butin de guerre en somme…
Décidemment, les dictatures peuvent disparaître mais les rentes demeurent. Eh
oui, les portes sont neuves, disent les Arabes, mais les gonds sont vieux!
Finalement, après avoir souligné, à bon endroit d’ailleurs, dans une conférence
de presse, l’importance des pièces manquantes dans le dossier de Omar Mestiri et
l’absence de référents juridiques et d’études de faisabilité, il cède devant la
pression politique des amis de Sihem Ben Sedrine, fait amende honorable, se
dédit et décrète la viabilité du projet. Ce qui en dit long sur les membres
d’une Instance, qui abdiquent devant la première épreuve de force (grève de la
faim d’Omar Mestiri), au lieu de résister face aux ententes, aux concentrations
et aux débordants. C’est ainsi que la polémique enfle, le mécontentement se
généralise, les appétits s’aiguisent et les langues se délient. Car tout est
politique puisque le pouvoir est partout.