Tunisie : “Touchez pas à nos compétences”


tunisie-15072011-art.jpgLe propre des révolutions est la remise en cause totale des administrations, des
institutions, des lois, bref d’un ordre établi qui a mené au désordre… Il en a
été ainsi de la Tunisie sauf que cette «Tunisie, qui n’a rien et a tout» comme
l’a dit, à juste titre, un homme du peuple, possède une richesse et pas des
moindres: ses compétences.


Et si la Tunisie et son administration ont résisté au tsunami révolutionnaire,
c’est bien grâce à ces compétences, n’en déplaise à beaucoup. Compétences –la
plupart d’entre elles- qui ne servaient pas
Ben Ali, mais leur pays: la Tunisie.

Il nous arrivait très souvent, lorsqu’éclataient des discussions entre un
leadership éclairé sur la difficulté de trouver un remplaçant à Ben Ali, de
dire: «La Tunisie marchera même sans président et sans ministres, car les
rouages de son Administration sont bien huilés». Et ce malgré toutes ses
insuffisances et tout ce que l’on pouvait lui reprocher comme lenteurs, manque
de réactivité, de formation ou paresse..

Les administrations publiques, pour la plupart, n’ont pas fait de sit-in, de
grèves ou de manifestations. Le pays traversait une vague d’intempéries sans
précédent mais continuait à fonctionner.

Les foyers étaient éclairés et l’eau était distribuée. Les produits de
consommation de base, passés les premiers jours de la révolution, disponibles
sur le marché, et les opérations courantes continuaient sans incidents majeures.

Pourquoi?


C’est parce que, même en l’absence d’institutions fortes, de justice, de liberté
et de transparence, l’Administration tunisienne fonctionnait. En l’absence
d’organismes forts destinés à empêcher toute velléité d’abus, d’injustice ou de
corruption et à freiner les appétits voraces de la «Familia» pour le pouvoir et
l’argent, il y avait une résistance d’une certaine administration timide mais
tenace.

Combien parmi les 500.000 fonctionnaires et hauts fonctionnaires répondent aux
épithètes de «collabos, corrompus, complices, zélés?”. Sont-ils tous les
associés de Ben Ali et cies dans sa démarche perverse et honteuse de mise à sac
du pays? Parmi tous les ministres, secrétaires d’Etat, directeurs centraux ou
généraux, qui ont présidé aux destinées du pays, n’y a-t-il pas eu des
patriotes? Seraient-ils tous des traitres à la Tunisie et au service du
dictateur Ben Ali?

C’est trop simple de mettre tout le monde dans le même sac et de dénier à des
personnes, qui ont sacrifié des carrières internationales, qui ont préféré
servir leurs pays et qui ont doublement supporté le joug de la dictature de
l’ancien président et les critiques acerbes des médias et des «opposants», le
mérite d’avoir servi du mieux qu’ils le pouvaient leur pays.

Ceux qui s’acharnent le plus sur les gouvernants d’hier étaient leurs plus
fervents courtisans


Quoi de plus facile que d’exulter nos déceptions, de renier notre lâcheté en
crachant notre venin sur les autres, les plus en vue, ceux que les médias
montrent comme les artisans du mal absolu…? Et pourtant, un peu d’honnêteté et
de sincérité ne nous ferait pas de mal.

Nous sommes tous coupables, chacun à son niveau de ce à quoi a été réduit le
pays. Nous avons presque tous observé un silence complice: les journalistes se
saoulent dans leur club bar, les auteurs, écrivains et pseudo leaderships
intellectuels et culturels dans leurs tavernes pour pleurer ensuite leurs
déceptions et rancœurs devant la statue d’Ibn Khaldoun; l’UGTT paralysée par une
entente officieuse avec le régime Ben Ali appelée «Paix sociale» et ses petits
intérêts mesquins; l’UTICA vidée de sa substance parce que devenue plus
politique que patronale; l’Université réduite à des ghettos où l’on dispense des
formations académiques en l’absence de toute joute intellectuelle et de débat
politique…

Nous étions tous spectateurs de la décadence des institutions, commencée bien
avant Ben Ali et achevée sous son règne. «Je n’aime pas ceux qui tapent sur ceux
qui sont à terre alors qu’il y a quelques mois, ils se prosternaient devant… Il
y a ceux qui encouragent la démocratie uniquement quand ils sont hors du
pouvoir, une fois au pouvoir, ils sont impitoyables pour réprimer les droits des
autres», commentent des internautes. Car ceux qui s’acharnent le plus sur les
gouvernants d’hier sont ceux qui ont le plus profité de leurs largesses et qui
ont été leurs plus fervents courtisans. Ah opportunisme quand tu nous tiens!

Les Afif Chelbi, Mohamed Nouri Jouini, Slim Tlatli, et avant eux Ahmed Friaa et
autres Nouri Zorgati… ne sont pas et n’ont pas été les instruments de Ben Ali
pour la destruction du pays, ils ont servi leur pays parce que c’est bien grâce
à la Tunisie, qui les a formés, qui leur a donné les moyens de devenir ce qu’ils
sont, qu’ils sont aujourd’hui des compétences reconnues à l’international.

Devons-nous, pour exulter nos rancunes, nous défaire de personnes aussi
qualifiées, rôdées à l’Administration et possédant la maîtrise de la gestion des
affaires du pays et des stratégies économiques et sociales juste pour nous
sentir moins coupables? Le syndrome Ben Ali a touché des milliers de Tunisiens,
nous devrions, peut-être, nous en débarrasser pour satisfaire la haine de
personnes qui ont, elles-mêmes, profité de leur position dans l’opposition.

Il y a une différence entre les procès d’intention et les procès équitables.
Quand on a pendant longtemps souffert d’injustices, on n’a pas le droit de
l’exercer sur d’autres, car à ce jour, les gouvernants -dictateurs ou pas-
puisent dans les compétences du pays pour le gérer, ils ne les achètent pas au
marché des esclaves et n’en font pas leurs serfs.

Alors arrêtons cette inquisition, soyons grands et forts comme notre Tunisie qui
a toujours été tolérante, généreuse et ouverte, et surtout préservons les
compétences que nous avons nourries de notre sang, sueur et labeur. Le pouvoir
doit être maintenu par le consentement et le consensus et non par la coercition
ou l’exclusion. Les droits des minorités et des plus vulnérables doivent être
respectés. Notre devoir à tous est d’œuvrer dans un esprit de tolérance et de
compromis pour aider notre pays à dépasser ce cap difficile. Les intérêts du
peuple et de notre patrie doivent passer avant les ambitions politiques égoïstes
et les rancœurs aveugles. Le peuple tunisien le sait et le comprendra. Mesdames
et messieurs qui cherchez la revanche, laissez la justice faire son travail et
surtout ne parlez plus au nom du peuple. Les Tunisiens sont au-dessus de tous
vos calculs mesquins et hypocrites.