« Je défie quiconque qui prétend me coller sur mes dossiers, les deux ministères compris, celui du Tourisme et du Commerce auxquels j’accorde la même importance et je consacre le même temps. Je suis par ailleurs disponible pour répondre à toutes les interrogations des médias et des professionnels à condition que l’on me sollicite ».
C’est la répartie de Mehdi Houas, ministre du Commerce et du Tourisme auquel nous avions adressé le reproche de ne pas accorder autant d’importance au département commerce qu’à celui du tourisme. Jugé enclin à plancher sur les dossiers en y associant les experts et marginalisant les hauts responsables et cadres des ministères en question, le ministre réfute vigoureusement en assurant qu’il a reçu tous ses cadres sans aucune exclusion.
Entretien sur des thèmes autrement plus importants pour le pays.
Le marché parallèle inquiète les entrepreneurs qui trouvent que depuis le 14 janvier, il n y a pas grand-chose de changé, les rues de la capitale sont toujours aussi saturées de produits parallèles de toutes les qualités et origines. Auparavant, les acteurs de ces commerces étaient identifiés. Aujourd’hui, c’est pire, que faites-vous pour limiter ce phénomène.
Le ministère du Commerce ne peut pas tout faire. Les étalages sauvages des produits de toutes sortes, ne font pas partie des attributions du ministère, c’est au ministère de l’intérieur et à la police municipale d’y mettre fin. Ceci étant, dans une logique de résoudre ce problème, nous avons reçu un pseudo syndicat des ces commerçants. Ils argumentent en me disant : « Avant le 14 janvier, nous achetions des contenaires chez les Trabelsi, aujourd’hui que devons-nous faire ? ». Evidemment, il est difficile de répondre à ce genre de questions surtout lorsqu’on vous dit que 20 000 familles vivent de ces commerces et que les produits s’adressent à plus de 3 millions de Tunisiens. C’est donc un véritable marché qui se trouve devant nous. Ma seule réaction a été qu’il fallait qu’ils s’organisent pour officialiser le marché en question. Les années précédentes, ils payaient des tributs aux Trabelsi, aujourd’hui, il va falloir qu’ils aient des autorisations en bonne et due forme et qu’ils s’acquittent de leurs impôts. Ils vont également devoir commercialiser des produits répondant aux normes internationales donc pas de contrefaçons et pas de produits dangereux importés de pays asiatiques comme l’électroménager ou l’électronique.
Vous avez réussi à les convaincre ?
Pas vraiment, car pour eux la contrefaçon satisfait une demande importante du marché. Un simple citoyen achète des espadrilles Nike pour ses enfants 15 dinars la paire ce qu’il ne peut pas faire si ce c’est pour des vrais qui valent 200 dinars minimum. C’est donc une nouvelle culture à instaurer, il faut commencer par éduquer les consommateurs. D’autre part, il existe un autre maillon de la chaîne du commerce parallèle, à savoir l’emplacement de la vente. Il y a des autorisations qui doivent être sollicitées auprès des administrations concernées, ministère du Commerce, gouvernorats et municipalités. Et pour terminer, il faut que les commerçants qui ne déclaraient pas leurs bénéfices et ne payaient pas leurs taxes le fassent afin d’améliorer les conditions de l’exercice de leurs activités. Notre responsabilité est d’aider ces gens et d’organiser le marché.
Discutez-vous avec le ministère des Finances de ce problème car les services douaniers ont des responsabilités dans l’approvisionnement du marché local en produits parallèles ?
Nous discutons énormément avec nos vis-à-vis dans le gouvernement. En Tunisie, il y a 90% des lois qui sont bonnes, il suffirait de les appliquer et de les respecter. Le plus important est que les Tunisiens eux-mêmes se conduisent en citoyens responsables, et pour cela, il faut qu’ils aient confiance en leur administration et en leur pays. C’est donc à ces Tunisiens de protéger leurs frontières et leurs marchés en comprenant qu’ils causent du tort à leur économie et en la matière plus que la contrainte par la loi, il y a la conscience collective qui doit prendre le dessus.
Nos entrepreneurs souffrent également du conflit libyen. Quel est l’impact de la guerre en Lybie sur nos échanges commerciaux et avons-nous une stratégie pour nous redéployer ailleurs ?
Déjà, si on fait une vision aérienne, on réalise que nos exportations ne sont pas toutes négatives, il y en a qui ont augmenté considérablement depuis le début de l’année en valeur et ont diminué en produits surtout le phosphate. Il faut quand même ne pas perdre de vue que nous sommes un pays qui a vécu une révolution et que l’un des pays phares avec lequel nous effectuons nos échanges est en guerre. Nous sommes dans une situation où nous ne pouvons pas dire que notre marché s’est écroulé et nous avons devant nous un large éventail de solutions. Ceci dit, nous avons quand même des alternatives avec nos pays voisins et pour commencer l’Algérie. Un pays dont les échanges commerciaux sont de loin plus importants avec l’Europe qu’avec nous et les accords d’exportation plus favorables à l’Europe qu’à la Tunisie. Nous avons commencé donc à négocier avec l’Algérie car ça serait dommage qu’entre pays voisins, nous n’ayons pas d’accords qui nous rendent mutuellement plus forts. Nous avons donc défini une liste de 2000 produits qui seront détaxés et nous travaillons sur une autre liste de produits.
Il y a eu signature d’un accord préférentiel entre la Tunisie et l’Algérie, il y a près de deux ans, où en sommes-nous par rapport à la concrétisation de cet accord ?
Tunisiens et Algériens tiennent à appliquer cet accord, il s’agit aujourd’hui de mettre en place les détails d’ordre pratiques et ce sont des experts des deux côtés qui en ont été chargés. Dans les tous prochains jours nous passerons à l’acte. Nous tenons à ajouter d’autres listes de produits que nous voudrions détaxés et nous sommes en train de négocier pour. Cela est du côté algérien, il y a aussi le marché libyen qui, après avoir chuté au début du conflit, commence aujourd’hui à reprendre car nous avons eu des accords avec les organismes internationaux pour reprendre l’approvisionnement du marché libyen en produits de première nécessité, dont les médicaments. Par contre, le problème qui se pose en ce qui concerne la Libye, c’est le fait que des produits compensés comme le sucre, la farine et l’huile y sont commercialisés à cause de la contrebande ce qui pèse sur la caisse de compensation. Les pertes pour l’Etat s’élèvent à des centaines de milliers de dinars, rien que pour le mois de mai, le montant s’est élevé à 3 millions de dinars, le risque est que d’ici la fin de l’année, ce chiffre peut atteindre les 40 millions de dinars. C’est énorme. Les habitants du Sud du pays se plaignent d’ailleurs de la rareté de certaines denrées alimentaires vendus illégalement en Libye.
La hausse des prix est, d’après les consommateurs tunisiens, devenue choquante. Le ministère du Commerce n’arriverait-il plus à maîtriser les prix ?
Il y a ce qu’on perçoit, ce qu’on dit et ce qui est réel. Il faut savoir que le ministère du Commerce, n’a pas un impact direct sur la fixation des prix qui sont libres dans notre pays. Nous décidons des prix des produits compensés et nous intervenons en dernier recours dans la fourchette des prix sur le dernier maillon à savoir les 15%. Si les prix augmentent au niveau de la production, les conséquences sont immédiates sur le consommateur. Nous contrôlons l’affichage des prix et non pas les prix eux-mêmes. Nous essayons malgré tout d’approvisionner suffisamment le marché pour qu’il n y ait pas d’augmentations exagérées des prix à cause de la rareté des produits. Le ministère du Commerce vérifie l’affichage et la conformité des prix pour ce qui est des produits compensés, pour les autres, nous jouons sur la production pour approvisionner suffisamment le marché et maîtriser les prix. Nous négocions cela avec les producteurs et les distributeurs.
Il y a eu des périodes de rupture de stocks comme les mois d’avril et mai ou nous passons d’une saison à une autre pour ce qui est des légumes et des fruits. Ce qui nous gène aujourd’hui, est le prix du poulet et de l’escalope de dinde, nous nous concertons aujourd’hui avec le ministère de l’Agriculture pour augmenter la production. Pour ce qui est des viandes rouges, nous comptons en exporter plus.
Est-ce que nous pouvons dire que vous êtes bien préparés au mois du ramadan, durant lequel, la consommation augmente considérablement ?
La préparation du mois du ramadan démarre dès le 1er janvier. Au niveau du ministère, ils sont bien rôdés et les stocks sont plus ou moins préparés et calibrés. Les indicateurs sont normaux et même la révolution n’a pas perturbé outre mesure la constitution des stocks. Par contre ce qui nous perturbe, est la Libye tant au niveau de son approvisionnement par différents canaux que de la prise en charge des réfugiés dont nous ne soupçonnions pas le nombre qui s’élève à des centaines de milliers de personnes. Il a fallu réguler nos stocks dans des produits tels que l’eau, les pâtes, la semoule, les viandes blanches et autres
Et en produits laitiers ?
En produits laitiers, nous avons eu le phénomène inverse. Au mois de février certains producteurs ont même dû se débarrasser de centaines de litres de lait qu’ils ne pouvaient stocker parce que l’usine de production de fabrication de lait en poudre qui devait absorber les quantité supplémentaires de lait n’a pas été opérationnelle à temps. Notre stock de lait est suffisant et nous sommes en train d’approvisionner le marché libyen en produits laitiers. Aujourd’hui, il faut veiller à ce que ce que nous exportons à la Lybie ne menace pas l’approvisionnement du marché national.
Comptez-vous prendre des décisions concernant la caisse de compensation, l’Etat compte t-il ?
L’ancien Président nous a, juste avant son départ, donné 3 coups de flèches en incluant dans les produits compensés le lait, les tomates concentrés et un autre produit. Il est évident que ces produits pèseront lourd sur la caisse de compensation soit un peu plus de 107 millions de dinars sur l’année et il n y a aucun moyen de revenir en arrière. La caisse de compensation pèse 1400 MD pour l’Etat, c’est énorme. Un peu de patriotisme ne nous ferait pas de mal, nous ne pouvons nous autoriser à exporter par le biais de la contrebande des produits compensés estimés à près de 200 MD, c’est dommage, c’est une double perte pour notre pays. La caisse de Compensation nécessite toutefois une révision dans sa logique et sa contribution.
Sur un tout autre volet, qu’en est-il de la libéralisation des services avec l’Europe ?
Les négociations avaient été arrêtées suite aux évènements qui ont eu lieu en Tunisie. Entre temps, j’ai eu l’occasion de rencontrer le commissaire européen à Bruxelles et en discuter avec lui, en attirant son attention sur le fait qu’être un gouvernement de transition, ne nous empêche pas d’avancer sur un certain nombre de dossiers. Nous pourrions ainsi baliser le terrain et préparer les dossiers comme il se doit et à la charge du nouveau gouvernement d’entériner ou de désapprouver nos conclusions. Le plus important est de ne pas observer une attitude attentiste sous prétexte que nous sommes un gouvernement transitoire. Aujourd’hui, une équipe d’experts travaille sur l’élaboration des meilleures formules en matière de libéralisation des services pour reprendre les négociations.
Le problème qui se posait concernant la dérégulation des services était que nos partenaires européens estimaient que nous étions assez protectionnistes concernant la libéralisation des secteurs financiers, ou ceux en rapport avec des expertises comme les métiers d’avocats, médecins, experts comptables et autres professions libérales…
Nous sommes peut être protecteurs en ce qui concerne ces métiers, ils le sont autant pour ce qui est de la libre circulation des personnes. Un ingénieur, médecin ou expert tunisien a du mal à avoir un visa et même les autorisations nécessaires pour assurer une mission dans un pays européen. Il faudrait peut être que les Européens acceptent que le Tunisien prenne un visa de travail temporaire le temps que durera la mission. Dans notre pays, le protectionnisme était peut être justifiée par un désir de préserver les métiers libéraux d’une concurrence ardue et inégale, ce qui est compréhensible car il s’agit pour les uns et les autres de protéger leurs industries. S’il s’agissait tout simplement d’empêcher des observateurs étrangers de découvrir ce qui se passait dans le pays en matière de corruption et de malversations afin qu’ils ne fouillent, eh bien l’argument est tombé de lui-même et les temps sont aujourd’hui à des partenariats plus équilibrés et plus équitables.