Une stratégie de rupture pour rendre la Tunisie attractive pour les IDE

Par : Autres

hichem_19072011-250.jpgL’histoire des civilisations nous montre que les changements les plus importants
sont ceux qui sont générés suite à une rupture franche. Le progrès continu ou ce
que l’on nomme généralement «l’approche Kaizen» est possible mais ses effets
s’inscrivent dans une progression lente souvent incompatible avec l’urgence du
moment.

Une stratégie de rupture a pour objectifs de créer une nouvelle façon de faire,
de trouver un nouveau terrain de jeu aussi peu concurrentiel et conventionnel
que possible.

Contrairement à la pensée stratégique conventionnelle basée sur le dominant
leader et les suiveurs (Cf. Porter) où l’enjeu réside dans la conservation des
acquis et des avantages concurrentiels, une stratégie de rupture se base sur une
volonté de changement et de déséquilibre vers l’avant, quitte à modifier
radicalement l’organisation et les pratiques habituelles.

Afin d’illustrer mes propos, prenons un exemple volontairement choisi loin du
domaine de l’économie et de la stratégie industrielle mais qui illustre
parfaitement ce qu’est la stratégie de rupture. Il s’agit de la discipline
olympique du saut en hauteur. La technique pour sauter, telle que pratiquée
jusqu’à 1968, consistait à réaliser un saut dit «saut en ciseau» où l’athlète
saute en élevant la première jambe, et quand il est passé, il élève l’autre, en
retombant.

Cette technique, jadis utilisée par tous les athlètes, avait permis une
progression lente du record mondial qui a mis 56 ans pour passer de 2m en 1912 à
2,29m en 1968.

En 1968, un athlète du nom de Fosbury a appliqué une stratégie de rupture dans
la technique du saut et a inventé le «Fosbury flop» ou le «rouleau dorsal». Le
sauteur prend une prise d’élan courbe pour arriver parallèle à la barre. Il
prend son impulsion avec le pied le plus éloigné de la barre tout en élevant la
jambe libre. La rotation a lieu naturellement et l’athlète se retrouve dos à la
barre. Il enroule ensuite celle-ci et retombe sur l’aire de réception sur les
épaules.

Cette technique, complètement différente, a marqué une rupture stratégique de la
discipline et lui a permis d’atteindre le record de 2,45m en 1993. Elle est
aujourd’hui pratiquée par 100% des sauteurs… en attendant qu’un autre athlète
conçoive et réalise une autre technique de rupture pour la discipline.

Les limites de la stratégie de suiveur en matière d’IDE

Ce préambule n’a pour but que d’illustrer les propos qui suivent concernant la
stratégie de rupture que j’imagine pour la Tunisie post-révolution afin de lui
permettre d’attirer les investisseurs directs étrangers (IDE). Il est à noter
que j’ai eu le plaisir et l’honneur d’exposer cette vision récemment lors du
séminaire organisé par le ministère du Transport et de l’Equipement en
collaboration avec l’association Tounes 2020.

Depuis des années, la stratégie de la Tunisie en matière d’attraction des IDE a
été une stratégie de suiveur sans aucune recherche de différentiation. C’est
ainsi que nous avons imité le Maroc, la Turquie, la Chine et les autres pays
pour appliquer les mêmes recettes pour attirer les
IDE (statut des entreprises
exportatrices, incitation fiscale et douanière, aide à installation, réduction
des charges salariales…).

Comme ces pays, nous avons aussi misé sur l’attraction des industries à bas coût
de main-d’œuvre, à faible valeur ajoutée et à faible intensité capitalistique.
Cette politique de suiveur a certes donné des résultats mais elle est et reste
tributaire de l’impossibilité de fixer ces industries sur le territoire, de
l’émergence de nouvelles zones d’activité moins chère ailleurs comme en Malaisie
et en Inde…

Il est nécessaire aujourd’hui, si l’on veut gagner, de changer radicalement de
politique et de chercher à se différentier des autres offres en appliquant une
réelle stratégie de rupture. Le déséquilibre en avant que nous devons viser est
celui qui mise sur l’augmentation de la valeur ajoutée sur place. Nous devons
prospecter et attirer les IDE à haute intensité capitalistique. Nous devons
absolument miser sur nos compétences de haut niveau disponibles et à construire.

Nos décideurs doivent comprendre que les
entreprises exportatrices qui
s’installeront en Tunisie ne viendront pas pour les mêmes raisons qui les
poussent à s’installer en Chine, en Malaisie ou bien au Maroc. Si elles vont en
Chine pour des raisons de coût et de volume, elles viendront en Tunisie pour la
part de la valeur ajoutée qu’ils seront capables de faire sur place et pour
leurs besoins de garantir une flexibilité maximale et une supply chain réactive
et courte. Toute action de prospection, d’aide et d’incitation doit
automatiquement découler de cette stratégie.

Pour mieux caractériser la stratégie de rupture que je préconise pour la
Tunisie, il serait opportun de se positionner un instant du côté d’une
entreprise industrielle étrangère à forte intensité capitalistique et à forte
valeur ajoutée, et d’essayer d’identifier quels sont les critères qu’elle
considère importants pour décider de la localisation d’une unité de production
dans un pays plutôt que dans un autre. C’est en analysant ces critères de
sélection et en essayant d’évaluer la position de la Tunisie par rapport à ces
mêmes critères que l’on sera à même d’y répondre et d’augmenter ainsi
l’attraction de la Tunisie pour ces investisseurs.

Mon expérience personnelle en tant que consultant en stratégie industrielle
auprès de nombreux groupes internationaux et auprès de nombreux gouvernements,
en particulier celui de la Pologne dans le cadre de son programme de
privatisation et d’ouverture économique, ainsi que le rôle que je joue
aujourd’hui au sein d’une multinationale industrielle me permettent de dresser 6
critères majeurs qui rentrent en compte dans l’arbre de décision stratégique
relative au choix d’une localisation pour une industrie capitalistique.

(Article à suivre: “Les six critères majeurs qui rentrent en compte dans l’arbre
de décision stratégique d’une localisation pour une industrie capitalistique”).

*Ingénieur de l’Ecole Nationale des Ponts & Chaussées (’87), titulaire d’un DEA
d’intelligence artificielle de l’Université Paris VI (’87) et d’une maîtrise de
mécaniques appliquées de l’Université de Tunis (’83).