C’est fou ce que les gens peuvent avoir pour seul horizon l’argent. La dignité
se faisant de plus en plus rare. Une certaine chanteuse est invitée sur un
certain plateau télé, et ce pour faire la promo d’un nouveau style de
spectacles, et un nouveau style tout court, dit-elle, lequel style semble être
impossible à adopter par le passé, sous entendre avant la révolution. Dixit la
chanteuse.
Dis donc, il est utile de remettre ses pendules l’heure.
Par le passé, les chanteuses étaient donc tenues, par le fer et par le sang, de
porter des décolletés et des robes moulantes, choses qu’elles récusent en fait
au fond d’elles-mêmes. Et voilà que la révolution leur a permis de se voiler, de
visiter les lieux saints, et de «retourner à Dieu», enfin. Avec tous ses
respects dit-on, pour celles qui sont «différentes». Avec ce ton de supériorité,
faussement modeste, de gens illuminés, ou plutôt… qui se sentent illuminés.
Et qui oserait mettre en question cette «supériorité» implicite…! Manifestement,
nous sommes une société de tradition musulmane, et où la religiosité reste un
facteur de catégorisation sociale, très fort et très pesant. J’insiste sur la
«tradition arabo-musulmane», car la tradition ou la culture est une chose, et la
religion ou la question de la foi, personnelle, en est une autre. Véritable
dilemme, donc, de comment réagir face à ces gens qui nous méprisent… Puisque eux
sont arrivés au salut. Et pas nous. Nous, pas encore. Autant s’interroger sur la
valeur réelle, dans notre inconscient collectif, de toute l’œuvre progressiste,
et de l’esprit laïc et républicain, entrepris par Bourguiba, et avant lui Tahar
Haddad et autres pionniers.
Bref, ce qui choque dans l’affaire n’est pas que le spectacle soit destiné aux
femmes, car, comme le fit remarquer si brillamment notre chanteuse à succès, la
«wtiya» a toujours été réservée aux femmes dans nos traditions… Ce qui choque,
c’est que ce soit interdit, littéralement, aux hommes. Je ne sais pas si je me
trompe, mais on n’a jamais «interdit» à un homme d’aller ou d’entrer pour dire
bonjour à des gens qu’il connaît, dans une «wtiya».
Sachant que les téléphones portables et FB existent encore, des passages de ce
spectacle seront certainement diffusés, et lui feront meilleure pub que celle
classique, c’est-à-dire en invitant les médias. Ce qui choque donc dans
l’affaire, c’est le culot de gens, excellents contorsionnistes, tellement
excellents qu’on leur conseillerait presque d’aller faire du cirque!
La révolution faisant qu’une bonne partie des femmes va se sentir libérées et
libres de porter leur voile, l’«islamisme» étant LA solution à la mode et dans
l’air du temps, voilà le meilleur «produit» au sens marketing, à proposer au
client. Le meilleur car celui qui satisfait un besoin qui était latent, mais qui
va émerger à la surface de plus en plus. Celui de la religiosité, de faire
pousser sa barbe, de rallonger sa jupe, de se couvrir la tête, etc.
Fondamentalement, le marketing n’est pas une science exacte (car l’objet d’étude
est un être humain, donc complexe et doté du libre arbitre). Mais, force est de
constater le talent de fins stratèges, parmi nos compatriotes, à la vision si
perçante, et qui arrivent à modéliser assez fidèlement la réalité, pour définir
d’abord le besoin, ensuite la meilleure offre qui puisse satisfaire ce besoin.
Le marketing se perfectionne de jour en jour. On ne joue pas avec l’argent.