Tunisie- Politique : Abdelfattah Mourou et «le Manifeste des indépendants», un tour de passe-passe de plus!

mourou-19072011-250.jpgDans une conférence de presse organisée le vendredi 15 juillet 2011, à l’hôtel
Africa, à Tunis,
Abdelfattah Mourou, figure controversée du courant islamiste en
Tunisie, co-fondateur du mouvement
Ennahdha à la fin des années 80, qui ramasse,
à cette occasion, les poignées de main par brasées comme on empile les bulletins
de vote, annonce, devant un parterre de journalistes aux aguets, son ralliement
au «Manifeste des indépendants», dont les principaux initiateurs, des figures
respectables de la société civile tunisienne, à l’image de Mustapha Filali,
ancien ministre de l’Agriculture sous Bourguiba,
Slaheddine Jourchi,
vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), ou Hamouda Ben Slama,
considéré comme l’une des plus belles prises de Ben Ali aux dépens du MDS après
1987, étaient toujours des négociateurs professionnels dans des enceintes
multiples et interactives, des compagnons de route du courant religieux dans le
pays pendant les deux dernières décennies, des agents d’influence consacrés et
des intermédiaires assidus, lorsque le besoin se fait sentir, entre les frérots
et le pouvoir central.

«La scène politique nationale est en train de se durcir d’une manière palpable,
de s’ajuster dans une ambiance florentine où chacun s’épie, se mesure,
s’observe, loin des valeurs de la révolution de la dignité et de la liberté, des
véritables enjeux liés à la période transitoire et des préoccupations des
citoyens, ce qui m’a poussé à épouser la thèse des auteurs du «manifeste des
indépendants», synonyme d’un appel au dialogue, à la concertation, au respect
des échéances électorales et au retour, au plus vite, à des institutions
légitimes, représentatives de la volonté populaire», déclare Abdelfattah Mourou,
pour qui, le principal défi opposé aux islamistes nahdhaouis, dans cette période
cruciale de l’histoire du peuple tunisien, c’est de tempérer les ardeurs des
autres composantes de la nébuleuse religieuse, de se garder des abstractions, de
rassurer les franges occidentalisées de la société, de construire de nouvelles
alliances, de se mettre d’accord avec les autres pôles de la scène politique
pour équilibrer les compromis, de réempoigner par les cheveux l’histoire qui va
passer, de raisonner en termes de coalitions sur les sujets les plus divers et
de rester réaliste quand on a un idéal et de garder son idéal quand on voit les
réalités.

Comme à son habitude, notre interlocuteur, fin manœuvrier, toujours prêt au jeu
de la séduction et de l’incantation, de tout temps prompt à décocher un sourire
dents blanches ou à serrer les mains d’une poigne vigoureuse, s’est évertué,
tout au long de la conférence de presse, à crier son indépendance, à faire bella
figura, à amadouer les journalistes et à se présenter en électron libre dans
cette phase allante de la période transitoire. Mais comme en amour, les preuves
sont toujours à faire. Car à regarder de plus près, le partage des rôles entre
Abdelfattah Mourou et le parti Ennahdha ne fait plus de doute. C’est le temps de
la sous-traitance, me dit un confrère. Du maillage. Du réseautage. On agit en
sous-main. Dans une guerre de leviers. De tous les leviers. Où le jeu de l’oie
vers le pouvoir bat son plein. Sinon comment expliquer cette proximité
permanente pendant les meetings, la vie associative et les initiatives
politiques liées à la société civile? Ce jeu de leurre doit cesser. Car le
peuple tunisien a perdu l’habitude de laisser passer, de laisser dire.

De son côté, Hamouda Ben Slama, l’un des ténors du MDS à ses débuts et ministre
de la Jeunesse sous Ben Ali, chargé, d’une manière intermittente, du dossier
islamiste avant la rupture définitive entre Carthage et les nahdhaouis, a mis en
exergue, dans une intervention éminemment politique et musclée, l’inexpérience
de l’équipe du Premier ministre Béji Caid Essebsi, justifié la colère des
manifestants, regretté l’absence de l’autorité de l’Etat dans les régions
intérieures, souhaité la constitution d’un gouvernement de Salut public et
appelé à sanctuariser la date du 23 octobre 2011, objet d’un consensus national.
Afin, dit-il, de réconcilier le peuple tunisien avec ses élites, de remettre de
la chronologie dans une société postrévolutionnaire, marquée par le présentisme,
d’ajuster l’exercice du pouvoir de l’Etat à l’ensemble des réalités nationales,
politiques et sociales du pays et de faire face aux immenses défis liés à la
problématique du développement, au modèle de société souhaité et au
repositionnement du pays sur le plan régional et international.

Finalement, d’après certains observateurs, «le Manifeste des Indépendants», dont
la plupart des signataires sont proches de la mouvance islamiste (Kamel Omrane
homme de confiance de Sakr El Matéri, gendre du président déchu, en fait partie
par exemple), permet au mouvement Ennahdha de s’adosser à une stratégie de
mouvement, de retrouver de la profondeur stratégique, de créer des dépendances,
de provoquer la surprise, de contrôler l’Agora tout en gardant les mains libres
et de manœuvrer sans afficher ses intentions. Mais savoir dissimuler demeure le
savoir des Rois.