D’après certains observateurs de la scène politique tunisienne, le Parti ouvrier
communiste tunisien (POCT), trempé depuis des décennies dans la lutte
clandestine, enfermé, par fonction, dans l’interpellation du prince, comme si
c’était toujours lui qui commandait à tout et aux astres, sédimenté par son
parcours militant, endurci durant les années de braise sous l’ancien régime et
habitué à une direction centrale stalinienne pur jus, qui n’a pas changé depuis
des lustres, a du mal, à la suite de la Révolution de la liberté et de la
dignité et de l’effondrement de l’Etat policier, à se débarrasser des oripeaux
de l’éternel opposant, tout temps une niche stratégique commode, à croire à un
nouveau monde post-tragique, à évacuer de son discours militant le messianisme
marxisant, manichéen de nature, à construire de nouvelles alliances, à assumer
les métamorphoses en cours dans la société, à mixer ses idées avec la réalité et
à se présenter en acteur politique responsable, capable d’intégrer les
impératifs de la gestion gouvernementale en période transitoire et de raisonner
en termes d’influence, de coalitions, de compromis et de vote à la majorité. Eh
oui!, il est grand temps, nous dit M. Aissa Baccouche, sociologue et secrétaire
général de l’UGET dans les années soixante, pour la direction du POCT
d’apprendre à se mouvoir dans ces eaux-là.
Au fait, Hamma Hammami, principal animateur de la mythologie résistancialiste de
l’après Ben Ali, fondateur et porte-parole du Parti ouvrier communiste tunisien,
après avoir refusé de rejoindre, dès sa formation, à la suite de la chute du
2ème gouvernement de Mohammed Ghannouchi, la
Haute Instance pour la réalisation
des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition
démocratique, objet par ailleurs d’un consensus national, a fait de la guerre
contre Béji Caid Essebsi l’alpha et l’oméga de toute sa politique, prôné, dans
toutes ses apparitions télévisées, l’éradication des anciennes structures de
l’Etat, au risque d’une guerre civile évidente, excité les ouvriers contre leurs
employeurs, étalé la balourdise idéologique stalinienne, sans pour autant
s’offusquer de nouer des alliances avec Ennahdha ou de défendre becs et ongles
le droit du Hizb Ettahrir au visa, encouragé l’assistanat et tous les sit-in,
sans se soucier des incidences économiques, exploité à fond la veine de la
colère et du défi, au lendemain du 14 janvier 2011, et jeté, à longueurs de
journées, l’anathème sur le capital et la classe possédante.
Ce qui n’a pas empêché, sa femme, Radhia Nasraoui, avocate et figure de proue de
la société civile tunisienne, de prendre récemment la défense de l’homme
d’affaires Khaled Kobbi, homme richissime, connu pour ses accointances avec
l’ancien régime et ses réseaux d’influence en faveur de Sakhr El Matéri, gendre
du président déchu. On a vraiment besoin de repères, nous dit un ancien militant
du POCT, pour saisir cet imbroglio! Il est bien connu que ce ne sont pas les
girouettes qui tournent, mais le vent. Coup de grâce donné aux derniers bastions
d’illusions. C’est à perdre son latin. Ou son «Manifeste», affirme un confrère
médusé. Marx doit se retourner dans sa tombe, rétorque un autre. Tout cela
respire la manip à plein nez, nous dit-on. Car, avec ce procès, la polémique
enfle. Le mécontentement se généralise. Les langues se délient. Devant cette
alliance contre-nature entre la crème de l’orthodoxie marxiste et l’un des
briscards de l’informel et du capitalisme financier en Tunisie.
En effet, d’anciens compagnons de route du parti dénoncent le jeu de dupes de
Hamma Hammami, principal promoteur, dans ses apparitions publiques, de la chasse
aux sorcières du ghetto du gotha de la finance liée à l’ancien régime, tout en
laissant à sa compagne le soin de les prendre en charge. De les rassurer. De les
adouber. De les défendre. Au tribunal. A la télévision. A la radio. Joueur
lui-même, le chef du POCT aime apparemment en jouer. Mais en solitaire. Il
maintient, sur le plan politique, ses casseroles sur feu, sans faire «cramer» la
soupe. C’est la parabole d’un savoir-faire typiquement petit-bourgeois.
L’hommage du vice à la vertu en somme. Eh oui!, avec la médiatisation du procès
Kobbi, affirme un avocat de la mouvance démocrate, finis les rêves gauchisants
de spontanéité des masses. Car la leçon donnée est un morceau étourdissant de
realpolitik. De dérégulation. De pertes des repères.
Finalement, disait le Général De Gaulle, être un homme, c’est réduire au maximum
sa part de comédie. Et la politique des intérêts se trompe souvent sur le but
qu’elle prétend atteindre, et en perdant la force morale, elle perd la vraie
puissance.