Le tissu associatif féminin s’est récemment enrichi par la création d’une
nouvelle organisation non gouvernementale (ONG), «Femmes et Dignité». Composée
de femmes et d’hommes indépendants, cette association, qui s’est distinguée,
depuis sa création, il y a deux mois, par l’organisation de deux débats
d’excellente facture sur «la femme dans l’histoire de Tunisie» et «la femme et
l’Islam», ambitionne de contribuer à l’édifice démocratique du pays et à faire
en sorte que la femme y contribue de manière dynamique. Pour d’amples éclairages
sur les objectifs et programmes de cette nouvelle ONG, Webmanagercenter a
interviewé Dr. Zahra Bensaïd Marrakchi, présidente de l’Association et
spécialiste en pédiatrie – néonatologie, professeur à la Faculté de médecine de
Tunis et chef du service de néonatologie à l’Hôpital Charles Nicolle de Tunis.
Entretien.
WMC: L’appellation de votre association «Femmes et Dignité» sous-entend-il a
priori que la femme n’a pas encore sa dignité?
Zahra Bensaïd Marrakchi: Je ne dirais pas les choses comme ça. Avant le 14
janvier, la femme, tout comme l’homme, étaient instrumentalisés et utilisés à
des fins de propagande et ne jouissaient pas en conséquence de leur dignité.
Après le 14 janvier, le sentiment de culpabilité de n’avoir rien fait pour
contester la dictature en place et face à l’émergence de voix menaçantes qui
pourraient remettre en question les acquis de la femme, des femmes et des hommes
ont décidé de créer l’Association «Femmes et Dignité» et de fédérer leurs
énergies aux fins de défendre les droits de la femme en tant que composante
indissociable des droits universels de l’homme, de l’aider à pratiquer sa
citoyenneté et à jouer un rôle dynamique dans l’édification d’une démocratie
tunisienne.
«Femmes et Dignité» a-t-elle une couleur politique?
L’Association est apolitique. Mais dans notre action, nous combattrons toute
forme d’extrémisme et lutterons pour une modération et une paix sociale où toute
Tunisienne et tout Tunisien auront leur place dans la dignité et le respect.
Comment votre ONG compte-t-elle se démarquer des autres structures féministes?
Je tiens à préciser tout d’abord que ‘’Femmes et Dignité’’ n’est pas une
association féministe. Notre souci majeur n’est pas de se démarquer des autres
ONG, fussent-elles orientées dans leurs actions vers la défense des droits des
femmes, mais plutôt d’agir avec toutes les composantes de la société pour que
les droits et la place de la femme soient à la hauteur de son rôle actuel et
futur qui est encore plus important que son poids démographique qui est de 50%
de la société.
A court terme, nous militerons pour que la Constitution consacre et garantisse
tous les droits de la femme à la dignité, à l’égalité, à la liberté, en un mot:
à la citoyenneté entière et indivisible. ‘’Femmes et Dignité’’ luttera pour que
la femme ne soit pas traitée comme l’autre moitié de la société mais comme la
moitié de la société dont le rôle est fondamental pour faire de la Tunisie un
pays où il fait bon vivre pour tout citoyen tunisien quels que soient son genre,
sa croyance, sa race, et quelles que soient ses différences ou ses concordances
avec le reste des Tunisiens.
Les membres de «Femmes et Dignité» sont pour la plupart soit de hauts cadres
soit des femmes aisées. Ne craignez-vous pas que votre association soit
qualifiée un jour d’ONG élitiste comme ce fut le cas pour l’Association des
femmes démocrates?
Je ne pense pas que ‘’Femmes et Dignité’’ ait été tentée un jour d’adopter des
critères d’aisance matérielle pour recruter ses membres. Il est par ailleurs
tout naturel que les intellectuels de la société jouent leurs rôles
d’avant-gardistes et de précurseurs dans les batailles que la société civile
doit mener sur tous les fronts pour essayer d’améliorer le bien-être des
Tunisiens, et en particulier des femmes qui sont au four et au moulin. Ces mêmes
femmes qui sont souvent tellement prises par leurs charges professionnelles,
familiales et sociales qu’elles oublient de porter un regard fierté sur leur
vie. Nous espérons contribuer à développer chez elles ce regard de fierté sur
elles-mêmes et un regard de reconnaissance et de considération de la société
pour leur rôle primordial.
Au regard de ses premières activités depuis sa création au mois de mai dernier
(organisation de conférences et de débats), votre association donne l’impression
d’être plus une ONG de réflexion sur des thèmes traitant de la femme qu’une ONG
de terrain?
C’est tout juste une impression. Mais les débats et la réflexion ne sont-ils pas
un préalable à toute action? Ces débats nous permettent, entre autres,
d’acquérir des réflexes et d’engranger des arguments nécessaires pour dialoguer
avec toutes les composantes de la société, celles qui partagent nos valeurs pour
pouvoir unir nos forces et avancer ensemble, et celles qui auraient d’autres
valeurs pour essayer de les convaincre de la justesse de notre vision et pour
essayer de trouver avec elles un terrain d’entente.
Pour le moment, tous nos efforts sont concentrés sur les élections du 23 octobre
prochain qui vont engager l’avenir du pays pour au moins des dizaines d’années.
Nous voulons pousser les femmes à voter. Car nous sommes persuadés que le vote
de la femme, selon ses convictions, constitue un rempart contre tout recul et
tout déni de ses acquis. Pour ce faire, l’Association a élaboré plusieurs
supports de sensibilisation (spots télévisés, dépliants, bandes dessinées en
arabe dialectal…). Elle compte également se rendre à la rencontre des femmes sur
les lieux de leur travail pour les sensibiliser à l’enjeu de leur vote.
Par ailleurs, elle est associée avec d’autres associations dans le cadre de
l’initiative «le bus citoyen» pour mener d’autres actions de sensibilisation sur
le terrain.
Après l’échéance du 23 octobre, l’Association “Femmes et dignité“ a déjà
constitué des groupes de réflexion pour essayer de trouver des solutions propres
à aider la femme à concilier entre son activité professionnelle et sa fonction
maternelle: étudier l’opportunité d’un congé prénatal, la création et le
développement des crèches sur les lieux de travail, car les solutions à trouver
doivent aller dans ce sens et non vers le confinement de la femme dans la
gestion de son foyer aux dépens de son travail, élément fondamental de son
autonomie et de sa dignité. Nous pensons aussi à la femme rurale, émigrée, mais
aussi aux femmes blessées: incarcérées, mères célibataires, femmes battues…
Face à une femme rurale qui n’a jamais connu –ou rarement du moins, dans sa vie,
une année de bonheur et qui ne cherche qu’une aide matérielle urgente, comment
l’Association compte-t-elle s’y prendre pour la convaincre des valeurs de
dignité?
L’Association ne ménagera aucun effort pour convaincre cette femme que la
dignité n’est ni un slogan creux ni un concept théorique mais un enjeu
socioéconomique. Nous pensons que l’éradication de la précarité de sa vie passe
par le recouvrement de sa dignité, laquelle est tributaire de son droit au
travail et à l’indépendance économique et financière.