Je voudrais commencer par exprimer, en mon nom et au nom des jeunes roumains
qui, il y a 20 ans, ont fait face à mains nues à l’armée et aux forces de
sécurité (de la police politique) du dictateur Ceausescu, notre tribut aux
combattants pour la liberté et la démocratie en Tunisie, en l’Afrique du Nord et
dans le Moyen-Orient. Jusqu’au dernier moment de notre vie, nous nous sentons
solidaires de ceux qui sont partis dans cette lutte. Il est un devoir suprême
pour nos martyrs mêmes tombés dans le combat pour la liberté et la démocratie.
La
Révolution tunisienne a ouvert une nouvelle page dans l’histoire de la lutte
pour la liberté et la démocratie de l’humanité. Les révolutions anticommunistes
en Europe à la fin du 20ème siècle sortent -au presént- de l’actualité pour
entrer dans l’histoire et le mythe. Les acteurs de ces événements ont le devoir
de partager nos expériences. Cela ne signifie pas que l’histoire se répète à
l’indigo, mais qu’on peut éviter les erreurs du passé pour marquer une
séparation entre l’essentiel et les particularités de chaque époque.
L’effondrement de l’empire communiste à partir de son intérieur dans un laps te
temps a fait que les révolutions anticommunistes ont semblé un miracle. En
1989-1991, sauf les événements tragiques en Roumanie, où la liberté a été gagnée
au prix de plus de 1.100 morts, 3.500 blessés graves et 3.500 personnes arrêtées
et torturées, l’empire soviétique s’est effondré face à des mouvements
pacifiques.
L’analyse du contexte politique, économique et social ne voile pas ce miracle,
mais au contraire lui ajoute encore plus de valeur. Les foules qui ont fait les
révolutions, ayant conduit à l’effondrement de l’ancien empire soviétique, ont
été attirées au début du projet de réforme de Gorbatchev, nourissant l’espoir
normal et sincère que cela conduira à une amélioration de leur vie. Les réformes
lancées dans le milieu des années quatre-vingt en URSS par la perestroïka
(réforme) et glasnost (transparence) ont eu un rôle important dans le
déclenchement de changement. Les intellectuels, moins intéressés par la
perestroïka, ont été attirés plutôt par la glasnost: ils étaient enthousiasmés
par la possibilité de parler librement après des décennies d’interdiction. Des
groupes d’intellectuels, qui ont eu alors la possibilité de se mettre en place
la transparence en Russie, dans les Républiques de l’URSS, dans les pays
communistes satellites d’Europe centrale et du Sud-est, ont développé un projet
propre visant à changer les régimes communistes.
Ce projet a été développé sur trois niveaux. Tout d’abord, un projet de
redécouverte des identités nationales en ce qui concerne la langue, la culture
et la mémoire historique. Deuxièmement, un projet religieux, la renaissance de
l’esprit religieux, en jouant un rôle écrasant dans toute la région de l’ancien
empire soviétique. Troisièmement, un projet politico-économique, en proposant
des réformes radicales qui conduiraient rapidement à une économie capitaliste et
une démocratie de style occidental.
A mesure que les réformes économiques de type perestroïka échouaient, il s’est
produit une translation dans l’intérêt des foules en abandonnant le projet
Gorbatchev pour celui des intellectuels radicaux qu’ils étaient capables de le
rendre public en utilisant la glasnost. Dans ces conditions, la conspiration des
services secrets, communistes qui envisageaient une transition progressive, en
maintenant le contrôle du Parti Communiste et de l’empire soviétique, plus
libéralisés, a échoué. Les foules ont opté pour un projet radical. La force avec
laquelle ils l’ont adopté tient de l’ethos et ne se substitue pas à une approche
rationnelle. L’ethos, qui met en mouvement des nombreuses foules dans un immense
espace, peut être compris seulement à travers une approche anthropologique.
Certainement, il y avait une pression militaire externe sur l’empire soviétique
communiste attisé par l’Ouest et, en particulier, par les Etats-Unis dans une
course aux armements, mais cette compétition fut un facteur majeur de
l’épuisement économique et technologique du régime communiste. Il est vrai qu’il
y avait en même temps une pression politique et civique de l’Ouest à respecter
les droits de l’homme et un canal de communication ouvert par le biais des
stations de radio financées par les États-Unis. Mais ils n’ont été que les
conditions et non les causes.
Aucun complot externe ou interne ne pouvait organiser ce changement s’il n’y
avait pas la détermination des peuples qui ont cru en des idéaux et étaient
prêts à se battre et à mourir pour ces idéaux. Ces moments sont rares dans
l’histoire du monde. C’est pourquoi il est si important ce qui se passe après la
consommation de l’explosion populaire, car seulement après une période
d’importants changements politiques, sociaux, économiques, nous saurons si elle
a été une véritable révolution.
L’expérience de ces 20 dernières années que Roumanie a parcourue sur le chemin
de la reconstruction démocratique peut-elle servir de point de départ pour une
réflexion utile pour la Tunisie? Je pense que oui, parce que, aussi bien pour
briser la dictature, la transition post-totalitaire a été la plus difficile en
Roumanie, encore une fois le seul pays de l’Europe centrale où sont restés au
pouvoir pour sept ans, des représentants de l’ancien régime. Le cas le plus
difficile mais aussi le plus instructif.
L’exubérance du média démocratique, l’enthousiasme des foules qui occupent les
places des grandes villes, après la chute du dictateur, nous faisaient croire
que tout le monde embrassait la liberté, la démocratie, des élections libres,
droits de l’homme, le Parlement, les partis politiques, la renaissance de la
culture, la foi et la tolérance, comme ces nouveaux concepts et valeurs avaient
toujours été familières aux Roumains. En fait, un nouveau langage de bois venait
de cacher aussi bien, sinon mieux, les véritables intentions des décideurs de
l’époque, la plupart provenant du deuxième échelon de l’ancienne puissance
communiste totalitaire.
En décembre 1989, personne ne savait quelles difficultés nous attendaient. Et en
juin 1990, lorsque des mineurs ont envahi nos universités, peu de gens pensaient
qu’il était possible de construire une démocratie.
Nous savons aujourd’hui que les principaux dangers de la transition
post-totalitaire sont l’éclatement des conflits gelés pendant la dictature,
l’exacerbation d’un certain intégrisme -qu’il soit religieux, nationaliste ou
idéologique-, la désinformation et la manipulation des médias dans les moments
critiques d’un bouleversement total de la société, les difficultés des réformes
économiques, leurs coûts sociaux, les erreurs d’administration et la corruption…
(A suivre)
* Ancien président de la Roumanie (1997-2000)… à l’occasion d’un séminaire
organisé par le Centre de réflexion et de développement du Nord-ouest (CRDNO),
le samedi 23 juillet 2011 à Tunis.