La direction historique du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT) au grand complet. Bien intentionnée. Sûr d’elle. Devant 200 congressistes enthousiastes. Fiers. Volontaires. Bombant le torse. Dans l’enceinte du Palais des Sports d’El Menzah. Du 22 au 25 juillet 2011. Dans une ambiance de ferveur. De retrouvailles. De relance. D’espoir. Dans la mission historique du prolétariat. La seule classe porteuse de progrès et de justice sociale, pour paraphraser un militant en transe, portant en bandoulière la noble bannière de l’égalité, pour qui la révolution est en danger de mort. Les sbires de l’ancien régime, dit-il, sont toujours aux aguets.
Jusqu’à présent on connaissait les harangues, les interpellations, les apostrophes et les fameuses diatribes de Hamma Hammami contre l’exploitation de l’homme par l’homme sur les plateaux de télévision. Avec ce rassemblement de la fine fleur des émules de Karl Marx dans le pays, à peine sortis de la clandestinité, on découvre l’étalage d’un programme économique digne de la Corée du Nord, alors que l’histoire a cruellement montré l’échec des systèmes communistes, aussi stériles en biens qu’en libertés. Avec la motion économique et sociale, issue des travaux du congrès, nous dit un invité de marque du congrès, le recours à l’Etat Mamma est désespérant. Le rejet du capital, une seconde religion. La phraséologie révolutionnaire, abêtissante. La raideur idéologique, une constante.
D’après Le porte-parole et fondateur du parti ouvrier communiste tunisien, le but des militants est tout simplement de créer une société solidaire, qui prend soin de chacun, où chacun prend soin des autres et où, ensemble, nous prenons soin de l’avenir du pays. De la région. Et du monde. Internationalisme oblige. Pardi ! Et voilà la Tunisie transformée en gigantesque sanatorium, rempli de plantes vertes et où tout le monde se donne la main, vit à sa guise, suivant ses habitudes ou son caprice, dans le royaume du vague et de l’a peu près….Exaltant comme projet ! Comme si la politique, la compétition et l’histoire sont finies. Au contraire, affirme un confrère médusé, le monde est plus mondialisé que jamais. Les activistes de la globalisation plus féroces. Les défis stratégiques et diplomatiques encore en abondance. Surtout après la révolution de la liberté et de la dignité.
Au fait, la base du POCT aurait gagné, à l’occasion de ce congrès, haut en couleurs, à laisser les idéologies à la porte. Afin de convaincre. D’examiner les choses avec distance. De se garder des abstractions. D’adopter des compromis. De rompre avec le présentisme. De se donner des repères. Car crier victoire contre la dictature n’est rien, durer est tout. L’histoire, déclarait Napoléon, est faite de cycles au balancement sans fin, et les mouvements de l’opinion sont fugaces. Or, le leader du parti ouvrier communiste tunisien ne se cache pas derrière son petit doigt. La révolution, c’est son affaire. Son hobby. Qu’on se le dise ! L’heure est aux droits collectifs. A l’impôt sur la fortune. A la socialisation des moyens de production. L’autarcie en somme.
D’ailleurs, tout au long des travaux du congrès, pas une seule fois le mot individu est utilisé, alors que celui de société revient sur toutes les bouches. Les différents intervenants évoquent abondamment la société du respect et de la dignité. Mais le premier des respects ne consiste-t-il pas à reconnaitre la liberté individuelle : Liberté d’agir, d’entreprendre, de créer, d’innover, de gagner de l’argent, de le consommer à sa guise. Non, pour Hamma Hammami et ses camarades, tout cela n’est pas seulement grossier. C’est plutôt contre- nature. Car, d’après la littérature du POCT, si l’individu existe, c’est seulement comme « victime d’un capitalisme vorace, qui broie la vie des ouvriers ».
Finalement, dans la conclusion de la motion économique, tout relève de la société donc de l’Etat. La Tunisie souffre du chômage. Qu’à cela ne tienne. Le problème sera résolu grâce à la force publique. Comme au bon vieux temps des années soixante. Avec le résultat que l’on sait. Haro donc sur le capital. Les riches. Les IDE. L’occident. Et le plein emploi promis ! Avec quel argent ? Mystère ! Il n’est pas question de valoriser l’initiative individuelle. Et c’est logique, puisque pour Hamma Hammami, la justice sociale passe par l’égalité. Le tourniquet redistributeur. Une rhétorique que tous les socialistes du monde ont abandonnée depuis longtemps, pour reconnaitre que le progrès social dépend du progrès économique, qui ne saurait exister sans l’encouragement de l’initiative individuelle. Avec cette balourde propagande, le POCT passe à côté de la définition des problèmes et de leur hiérarchisation, et des mots qu’on emploie pour les traiter. Car, affirme Jaques Attali, conseiller de François Mitterrand pendant dix ans, celui qui ne s’engage pas dans un effort permanent de réactualisation, se condamne à voir son langage, sa connaissance du monde et de la société, ses compétences…sombrer dans l’anachronisme.