J’étais dans un séminaire, et on était sortis prendre un café, à la pause de
10h. Il y avait bien sûr des croissants, des pains au chocolat, etc. Mon
collègue m’a donné un croissant et j’ai dit «non merci, je ne mange pas ça». Il
était surpris, mais encore plus surpris quand il m’a vu sortir de mon sac une
petite boîte en verre, avec dedans une pate, plutôt dure, et verdâtre. J’ai pris
deux cuillères, et mon collègue n’a pas pu se retenir de me poser la question:
«mais qu’est-ce que tu manges? Qu’est-ce que c’est ça?»
«C’est de la bsisa, au sorgho, mélangée à l’huile d’olive bien sûr, et avec des
fruits secs», lui répondis-je.
La bsisa est un aliment pour le matin, fait de graines complètes, avec une gamme
très large, au blé, à l’orge, aux lentilles (avec des fruits secs), au sorgho,
etc. Un aliment d’une qualité nutritionnelle extraordinaire, et sans aucun
rapport avec le croissant, fait de beurre (dans le meilleur des cas),
c’est-à -dire de graisse saturée. De farine, c’est-à -dire de céréales raffinées,
sans fibres, toujours rien à voir avec les céréales complètes de la bsisa.
Mélangée à l’huile d’olive, à l’eau fraîche (ou au lait froid) le matin, en été…
c’est un délice. Et fini le petit creux de 10h, les céréales complètes ont cet
avantage de rassasier, c’est des sucres lents, le corps prend son temps et
utilise cette énergie pendant des heures. Contrairement aux sucres rapides (du
croissant par exemple), vite consommés par le corps, on a donc très vite faim de
nouveau, on mange, et on prend du poids.
Ca a fait rigoler mon collègue que je mange de la bsisa. Mais ca fait chic de
manger du croissant. Le croissant et les viennoiseries sont reconnus et vendus
aux quatre coins de la planète. Le pain français aussi, les nouilles chinoises,
etc.
Ceci n’est pas une dissertation sur la bsisa. Mais sur les choix stratégiques,
de politique économique, que le pays aurait à faire dans les quelques années qui
viennent, et après l’échec sanglant de ce tourisme bas de gamme, avec des
serveurs qui ont des gueules toujours fermées, et des touristes RMIstes qui
n’achètent même pas une bouteille d’eau, avec le «all inclusive».
La bsisa s’avère vendable sur tous les plans, le goût, la diététique et la
valeur nutritionnelle. Surtout que l’ère du temps est à la nourriture saine
voire biologique. La nourriture fast food n’est pas une fatalité, c’est un
succès incontournable, d’un pays qui a su vendre sa nourriture et sa culture.
Nous aussi on peut accéder à ce statut, si on met le paquet. Si on part du
facteur culturel, si on l’utilise comme véritable levier de développement.
Exactement comme font les Etats-Unis, la France et tous les grands pays.
Je me demande pour quelles raisons les investisseurs n’ont pas encore pensé à ce
produit, notamment pour l’exporter. Pourquoi laisser nos produits, nos
savoir-faire, s’évaporer?
Peut-être que le jour où la bsisa sera vendue partout sur la planète, comme les
croissants, la Tunisie aura un tourisme d’une autre qualité.
Vendre un pays à un touriste ne se fait plus avec les arguments classiques de la
mer et du soleil. Il faut aller de l’avant. Le touriste lui-même n’est plus
classique. Il veut autre chose. Et on est bien capable de lui vendre cette autre
chose, et de la lui vendre à un prix décent, qui ramène une bonne marge, et
permet de payer les gens correctement.
Valoriser notre patrimoine. Développer un tourisme culturel, dans le sens où le
visiteur vient parce qu’il aura entendu parler de cette fameuse bsisa. Entre
autres.
Mais il n’y a pas que la gastronomie. Tout peut être exploité. Tout est Ã
revaloriser. Loin du folklore de la danseuse du ventre de Hammamet sud supposé
être le fleuron du tourisme. Surtout que la danse du ventre, ce n’est pas
vraiment notre patrimoine, elle est orientale. Les chants du kef sont mille fois
plus intéressants, que ce soit pour le touriste, ou pour le jeune qui va être
formé et payé pour le faire.
PS: Je suis bien consciente qu’on peut se moquer de cet intérêt pour la bsisa,
mais le croisant aurait-il eu cette renommée internationale, si on s’en était
moqué…?