Paru en 2005 dans sa version originale (arabe littéraire), cet ouvrage de grande importance, aujourd’hui réédité dans une version française assurée par Sihem Bouzgarrou Ben Ghachem, tombe à point nommé, en cette période délicate que nous traversons, pour nous éclairer davantage sur la perception bourguibienne de l’islam, mais aussi sur l’équation (inextricable ?) islam/modernité.
Dans ce premier chapitre de l’ouvrage, l’auteur tente de voir le procédé usité par Bourguiba pour arriver à faire admettre la justesse de ses réformes dont, et non des moindres, cette relative au Code du Statut Personnel qui s’est particulièrement intéressé à la condition de la femme tunisiennes : « Etant conscient des particularités de l’espace dans lequel il évoluait, et avant d’entreprendre la moindre action réformatrice, Bourguiba prit soin de l’expliquer et la justifier à la population pour pouvoir abolir aisément ce qu’il considérait comme obsolète et caduc ».
Du discours de Bourguiba prononcé le 13 août 1965, l’auteur nous offre cet extrait où on peut déceler la finesse de même que la force de persuasion : « La fille fut condamnée aux arrêts par la tradition qui l’a réduite à l’inertie et à l’inhibition, pourtant elle n’a commis aucun crime à part celui d’être née fille. Elle a partagé la même matrice que son frère, a évolué avec lui et a bénéficié d’une éducation similaire. Tous deux ont été élevés dans le même giron ; pourtant, quand ils atteindront l’âge adulte, les discriminations et les inégalités s’accroîtront et s’aggraveront ».
Par conséquent, « Bourguiba critique tous les principes idéologiques justifiant cette situation sociale pour infirmer les mécanismes symboliques sur lesquels s’appuyait cette vision péjorative qui discréditait la femme et l’asservissait (…) Il invalida les preuves de ceux qui reconnaissaient la polygamie ; il se référa aux principes de la mansuétude, de la dignité et de la liberté, consubstantiels au discours coranique. Puis, il soutint l’idée de la progressivité – philosophie réformatrice qui repose sur le progrès régulier et constant, et non le changement radical et outrancier ».
Et de revenir en charge, dans son discours du 24 juin 1966, en expliquant que c’est « essentiel d’associer la libération du pays à celle des potentialités de l’individu, en tant que tel, c’est-à-dire qu’il soit homme ou femme. Il est impossible d’asseoir les bases d’une société saine, qui sera en mesure de concrétiser le bien-être de ses membres, si la moitié de la communauté sociale est opprimée et qu’elle mène une vie pénible puisqu’on lui inflige un asservissement et un avilissement semblables à ce que lui avait imposé la colonisation dont le seul dessein était d’exploiter et d’assujettir les pus faibles ».
Réforme à trois niveaux
L’auteur nous présente ensuite la réforme entreprise par Bourguiba et tendant à l’émancipation de la femme, laquelle s’est exprimée sur trois principaux niveaux.
Au niveau juridique, « Bourguiba ordonna la ratification des traités internationaux, telle la convention de New la réforme entreprise par Bourguiba et tendant à l’émancipation de la femme, laquelle s’est exprimée sur trois principaux niveaux.
Au niveau juridique, « Bourguiba ordonna la ratification des traités internationaux, telle la convention de New « Bourguiba ordonna la ratification des traités internationaux, telle la convention de New York de 1962, et la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 ».
Au niveau religieux, écrit l’auteur, « Bourguiba s’appuya sur l’exégèse pour réinterpréter les versets compris comme favorables à la soumission. Ainsi le verset clé : Tant qu’un peuple n’aura point modifié ses valeurs, Dieu ne changera en rien sa condition. Remarque de l’auteur : « De fait, les discours de Bourguiba, quel qu’en soit le sujet, furent rarement dépourvus de références coraniques ».
Enfin, au niveau éducatif, l’auteur, en soulignant l’impératif de l’enseignement, une priorité absolue chez Bourguiba, livre quelques chiffres édifiants : « Au cours de l’année 1957, le pourcentage des enfants ayant rejoint les bancs de l’école était de 23 %, l’année suivante 32 % (dont 17 % de filles). Et cela démontre également la hausse du budget alloué à l’enseignement dans celui de l’Etat : il passa de 15 % en 1956 à 32 % dans le début des années 1960 ».