Rien à voir entre une radio et une télévision d’Etat et une radio et une
télévision publiques. Le numéro 2 de la Revue des Radiodiffuseurs Arabes, éditée
par l’ASBU, trace les contours d’un service public de l’audio-visuel et précise
comment il se distingue d’un audio-visuel d’Etat et même d’un audio-visuel
privé. Intéressant à l’heure où en Tunisie, comme dans le reste du monde arabe,
l’audio-visuel d’Etat semble avoir définitivement vécu.
Les médias sont largement pris à partie par les révolutions arabes. Ils sont
largement soupçonnés d’être totalement acquis aux pouvoirs en place, obéissant
au doigt et à l’œil aux gouvernants, de proposer des contenus médiocres,
d’employer des incompétents… Le discours n’a pas manqué d’être largement relayé
par les médias.
La radio et la télévision, médias de masse par excellence dans la région arabe,
ont souvent cristallisé les critiques et ses dirigeants ont été vilipendés. Au
centre des débats initiés, à cette occasion: comment assurer le passage d’une
radio et télévision gouvernementales ou d’Etat à une radio et une télévision
publiques.
La question est, du reste, largement débattue dans le n°2 de la Revue «Les
radiodiffuseurs arabes», pour l’année 2011. Cette revue de qualité, publiant des
articles et des études à caractère scientifique et professionnel sur l’état des
médias audio-visuels dans le monde arabe, est éditée par l’ASBU (Union des
radiodiffuseurs arabes), organisation panarabe spécialisée, dont le siège est à
Tunis.
L’existence d’un cahier des charges
Son directeur général, Slaheddine Maoui, ne manque pas, dans l’éditorial, de
poser la question clairement. «Les révolutions arabes sont de nature à favoriser
des transformations qui sont de nature de créer un paysage institutionnel
épousant un train de réformes qui ont un impact direct sur le secteur de
l’information», écrit-il notamment.
Dans l’article introductif du dossier consacré par la revue de l’ASBU sur «Le
passage de la télévision gouvernementale à la télévision publique», Ridha Najar,
professeur en journalisme et en communication à l’Institut de Presse et des
Sciences de l’Information (IPSI) de Tunis, assure que l’audio-visuel public se
distingue par l’origine de son financement, la nature de sa tutelle (ministère
ou conseil de régulation audio-visuelle), la responsabilité et le mode de
désignation de ses responsables et l’existence d’un cahier des charges; un
document qui renferme notamment les obligations de l’audio-visuel public.
Enseignant à l’Université d’El Charikaa, aux Emirats Arabes Unis, Sadok Rabeh
tente, dans un autre article, la définition de l’audio-visuel public ou de
l’audio-visuel de service public. Il présente l’éditeur d’un service de
radiodiffusion publique comme étant un opérateur qui assure un service d’intérêt
général. Et le distingue, pour sa part, par six caractéristiques: la globalité
(le service se destine à tous les citoyens sans distinction aucune), la
diversité, l’indépendance (par rapport aux gouvernants notamment),
l’impartialité (il n’est au service d’aucun parti, d’aucune institution, d’aucun
courant de pensée ou idéologie,…), le souci d’œuvrer à préserver l’identité et
la culture nationale), le financement par le public (notamment par le paiement
d’une redevance, qui constitue l’essentiel de son mode de financement).
Citoyenneté et pluralisme
On devine par la lecture de ce qui précède la différence entre un audio-visuel
de service public et un audio-visuel gouvernemental ou d’Etat (financé par le
budget de l’Etat) et un audio-visuel privé (financé par la publicité et les SMS).
Jemal Zran, enseignant à l’IPSI de Tunis, apporte, à son tour, un éclairage sur
le service public de l’audio-visuel. Pour lui, en effet, ce service renvoie à
des notions essentielles de toute société démocratique, à savoir notamment la
citoyenneté, le pluralisme et l’indépendance des médias.
Peut-on évoquer l’audio-visuel public sans exposer le cas de la BBC (British
Broadcasting Corporation), l’institution qui est, souvent, citée en exemple
chaque fois que l’on parle précisément d’audio-visuel public? L’article consacré
par Maher Abderahmane, journaliste et expert en communication audio-visuelle à
la
BBC, prouve que la présentation de l’exemple de cette institution, dont les
nombreux services radio et télés et les programmes sont jamais égalés et sont
toujours cités en exemple pour leur professionnalisme et leur crédibilité, vaut
bien le détour.
Mais qu’est-ce qui assure l’exemplarité de cette institution? Sans doute son
mode de gouvernance. Les structures dirigeantes de la BBC, au nombre de deux, le
Conseil des dirigeants (BBC Trust) et le Conseil exécutif (BBC Executive Board),
veillent au grain aussi bien en matière d’indépendance des chaînes que de
gestion des deniers publics. Les membres du Conseil exécutif sont nommés par les
membres du Conseil des dirigeants lesquels sont nommés après avoir été
auditionnés au sujet de leur expérience et de leur programme d’action.
Comportant huit articles bien documentés –avec souvent des références
bibliographiques-, publiés sur soixante-trois pages, le dossier publié par la
Revue des Radiodiffuseurs Arabes offre une matière, sans doute riche en
renseignements pour quiconque souhaite se faire une idée du vécu des radios et
télévisions publiques, et ce à l’heure où le monde arabe s’interroge sur ses
médias.