La politique est vite rattrapée par l’économie. Les slogans génériques et les promesses des lendemains qui chantent doivent être soumis au test de vérité, promettent les membres du «Cercle de l’économie».
Dans la mêlée politique ambiante, les partis semblent obsédés par la seule échéance électorale. Leur position sur l’échiquier de la Constituante, après le 23 octobre, les préoccupe au premier chef. On peut les comprendre, l’instant, dit-on, est politique. Mais doivent-ils pour autant s’exonérer de la publication de leur programme économique? Les membres du «Cercle de l’économie» font chorus: NON! La transition démocratique est un package. Le processus politique est incontournable. Cependant, son «collatéral», à savoir la transition économique, est tout aussi impératif.
A quoi servirait la meilleure démocratie du monde si elle ne peut nourrir les siens? Les opérateurs économiques, les travailleurs, le bon peuple, enfin l’opinion publique, sont dans l’attente. “De quoi sera fait demain ?“ est une interrogation collective. Par conséquent, l’heure est venue pour inviter les partis à hâter l’élaboration de leur programme économique. C’était l’idée maîtresse de ce week-end laborieux, une mini université d’été du Cercle de l’économie, émanation de l’Association des Economistes de Tunisie (ASECTU) et du Syndicat des Journalistes de Tunisie (SNJT). Publier les programmes est une chose. Le tout sera de savoir les disséquer. Place donc à cette vaste affaire pour connaître le «comment du pourquoi».
Le Cercle de l’économie est né: professionnalisme et objectivité
C’est sans doute un collectif «militant». Une structure entre think tank et Task force. En tout cas, ses membres sont animés de la volonté de servir. Ils se sont vus pour la première fois les samedi 23 et dimanche 24 juillet et ils n’ont pas coulé un week-end sabbatique. Ils ont travaillé dans une atmosphère détendue, genre amphi de Fac. Ca leur a réussi, car ça a désinhibé les uns et les autres. Les atomes ont accroché et ils ont vite pris langue, les uns pour les autres.
Une vingtaine de journalistes, jeunes pour la plupart et convaincus de leur «mission». Et, en face, des économistes: Mohamed Haddar, président de l’ASECTU, entouré pour la circonstance de Ridha Gouia, SG, de Moez Labidi, Hafed Abdennebi ainsi que Abderrahmane Lahga, tous trois membres de l’Association.
Ils ont choisi d’opérer sous le nom du «Cercle de l’économie». Ils ont convenu d’un plan de coordination et d’un agenda. Ils s’accordent à penser que le moment est critique et que la situation est fragile de même que l’affirmait Pr Haddar quand il soutient que «l’économie n’attend pas».
Désormais, ils entendent travailler en tandem. Le deal est clair: «formater» un mode opératoire pour explorer les programmes des partis. Le but est noble: décrypter les propositions des partis, en suivant un questionnement structuré et conséquent, de sorte à les rendre intelligibles à l’ensemble de l’opinion publique. Ce n’est pas tout à fait un exercice de vulgarisation mais bien de méthodologie. Il s’agit de faire ressortir la portée et la limite de chaque programme, c’est-à-dire lui conférer une finalité, une visibilité et une lisibilité. C’est en somme un test de viabilité pour mesurer le degré de fiabilité des thèses économiques qui seront avancées.
Et, dans le même temps, c’est également un test «d’opérabilité». In fine, grâce à ce travail de cohérence, on doit pouvoir permettre aux Tunisiens de se faire une juste opinion sur les propositions des uns et des autres. Bien entendu, ils vont barrer la route aux slogans incantatoires dans le style «demain, on rase gratis».
Journalistes et économistes sont prévenus et savent ce qu’on est en droit d’exiger d’eux: du professionnalisme et de l’objectivité dans ce travail d’analyse systématique qu’ils se proposent de réaliser dans le but d’éclairer l’opinion.
Les clés d’analyse: Comment «lire» les propositions économiques
Naturellement, il leur a fallu délimiter leur territoire et découper leur champ d’intérêt. Un cadre d’analyse a vite pris forme. Ridha Gouia a cadré les pré-requis pour aborder un programme économique. On doit y détecter, au préalable, une vision de long terme, citant les expériences historiques de 1956 et de 1988. Un programme, c’est un travail pour 30 ans, soit le minimum minimorum. On doit pouvoir donner de la perspective à une génération, au moins.
Cette profondeur de long terme doit également être assortie d’un «Business plan» qui contient les choix stratégiques: c’est-à-dire des objectifs chiffrés, renchérit Mohamed Haddar, ainsi que les mécanismes financiers pour les réaliser. C’est devenu un lieu commun, pour un responsable de parti, de vouloir réduire la pauvreté. Mais, affirme Abderrahmane Lahga, si on ne décline pas des mesures spécifiques pour le milieu urbain et d’autres pour le milieu rural, on manquerait de cohérence. S’agissant de deux milieux différents, ils appellent deux thérapies distinctes.
Moez Labidi dira, dans le même registre de logique pragmatique, que le relèvement du niveau des salaires n’aboutit pas forcément à doper la consommation de produits locaux. Il peut faire la part belle aux produits importés. Ne profitant pas aux entreprises locales, il ne serait pas d’un bon soutien pour l’emploi. Mohamed Haddar mettra, en avant, la nécessité pour un programme d’avoir aussi un impact instantané. «Sitôt installé, quelles mesures prendra le gouvernement pour créer des emplois soutenables?» a-t-il ponctué l’une de ses interventions, pour indiquer la pertinence du questionnement. Cela doit être concret, pratique et intelligible.
Programmes économiques: Le saut d’obstacles
Un courant de brainstorming a régné sur les travaux de cette rencontre pour les féconder. C’était un rendez-vous entre pragmatisme et pédagogie. Le dialogue avec les partis sera disputé dans le fair play, mais aussi la rigueur. C’est bien d’avoir pensé à édifier un socle de connaissances. Le devenir du pays est en jeu. Le challenge n’est pas mince. Switcher vers un nouveau modèle économique n’est pas un acte de tout repos. La refondation de notre modèle économique, idée défendue becs et ongles par Mohamed Haddar, à toutes les manifestations de l’Association, est la mère des batailles pour l’avenir du pays. Ce sera désormais le crédo du Cercle de l’économie qui poursuivra ses rencontres préparatoires pendant le mois de Ramadhan pour enfin donner le strike avec les partis, à la rentrée de septembre.
Passer au crible les programmes économiques des partis sera comme une épreuve d’admissibilité, pour eux. On leur prépare une course aux obstacles. L’irruption programmée de la dimension économique va équilibrer le débat public, mettant en attelage la politique et l’économie, deux compartiments d’une seule réalité: l’intérêt national.