A l’occasion de la célébration, le 25 juillet dernier, de son 41ème anniversaire, l’ALECSO (Organisation arabe de l’éducation, de la culture et des sciences) a rendu public un communiqué où, entre autres, elle se félicite d’avoir mis en œuvre tout un programme tendant à la promotion de la langue arabe, dont l’importante manifestation internationale organisée dans la capitale française sous l’intitulé ‘‘L’arabe est une langue sans frontières’’, un événement inscrit dans le cadre d’«Expolangues», soit une foire des langues ayant choisi pour invitée d’honneur la langue arabe.
En laissant de côté les sentiments et le chauvinisme, il n’est pas inutile de se poser aujourd’hui la question de savoir quel rôle joue actuellement (et depuis bien des lustres, en fait) la langue arabe sur l’échiquier international. Au risque de choquer plus d’un, on va dire tout simplement que ce rôle est nul. Inexistant. En tout cas, sans importance aucune.
A un moment de l’histoire de l’humanité (pas très lointain, d’ailleurs), il était question de mesurer l’importance d’une langue à l’aune du nombre de ses locuteurs, ou, si l’on préfère, des habitants l’ayant en usage. Sauf que cette manière de voir les choses a été heurtée de plein fouet par d’autres estimations plus réalistes. Les observateurs, en effet, considèrent que sur mille habitants – de par le monde entier –, 210 parlent le chinois, 115 l’anglais, 80 l’hindoustani (Inde), 60 l’espagnol, 55 le russe et 40 l’arabe. Même le français arrive loin avec seulement 25, derrière le japonais et à peine avant l’allemand.
Le monde arabe (puisque c’est notre propos) pourrait compter autour de 410 millions d’habitants. On trouve les pays du Maghreb avec 83 millions, les pays du Proche-Orient avec 250 millions d’habitants (mais il faudrait soustraire la Turquie et Israël) et l’Egypte avec quelque 80 millions d’âmes. Il n’est donc pas possible de confondre l’importance d’une langue dans celle du nombre de ses locuteurs, auquel cas ce serait plutôt le chinois la première langue mondiale.
Comme tout le monde le sait, c’est l’anglais qui trône par-dessus toutes les langues universelles. Car il se trouve que les 115 pour mille ont révolutionné le monde par le truchement des sciences et, plus particulièrement, les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Du simple petit appareil photo numérique en passant par la caméra vidéo jusqu’à l’incroyable mais vrai Internet, c’est le monde entier, car devenu consommateur inconditionnel de ces produits révolutionnaires, qui est passé sous la coupe des Anglo-saxons. En d’autres termes, toute langue qui ne produit pas de la science et de la technologie avancée est morte. Même le français n’est plus un vecteur de Savoir, de Connaissance, son unique mérite se limite à la traduction des principes et du fonctionnement des produits nés en anglais.
Pour se consoler un peu, les Arabes ruminent encore le fait que le zéro et tous les chiffres en usage dans le monde sont d’origine arabe ; ou encore que les mathématiques, la médecine, la physique et l’astronomie étaient l’œuvre originale des Al Jabr, Averroès, Avicenne, etc. C’était…! Ce n’est plus le cas. C’est pour dire, donc, que l’arabe, sur le plan scientifique et technologique, ne vaut plus grand-chose, peut-être rien du tout.
Néanmoins, et en dehors de la sphère scientifique, toutes les autres langues du monde doivent leur survie en ceci qu’elles véhiculent des cultures propres. L’ouverture sur la culture de l’Autre est une richesse. Dire que le français ne représente que 25 pour mille est une chose, mais quand on sait qu’un Jean-Paul Sartre, par exemple, est traduit dans plus de 40 langues est une autre affaire non moins importante. L’Europe et tout le monde occidental ont beau trouver que le monde arabe est infécond sur les plans scientifique et technologique, mais nul n’oublie qu’un Néjib Mahfoudh est un prix Nobel de littérature, lui aussi traduit dans une infinité de langues. C’est pour dire que, quand on n’a rien à offrir, on peut toujours proposer sa culture.
Or, même sur le plan culturel, l’arabe est confronté à un gros problème d’extinction à plus ou moins longue échéance. Les Frères Musulmans en Egypte, le Hezbollah au Liban, le FIS (ou ce qu’il en reste) en Algérie, et maintenant la montée de l’islamisme en Tunisie (et bientôt au Maroc) ont décidé que: la musique est l’affaire de Satan; le théâtre et le cinéma ne sont pas Halal; la littérature (surtout la poésie) est dévergondage; la peinture –qui se permet de reproduire les créatures humaines– est un péché; la danse est un sacrilège et même un blasphème ; etc. Cette espèce de tsunami qui commence à faire des ravages sur la culture arabe risque d’exterminer à jamais la langue arabe. Que peut bien valoir un peuple sans faculté créative (invention) et sans culture propre?… Rien. Absolument rien.
Devant cette perspective très peu reluisante, l’arabe, en fin de compte, ne peut que rester la langue du Livre saint. Rien de plus. Pour peu que, dans le monde arabe, l’islamisme gagne tous les terrains, et ce sont 410 millions d’Arabes qui ne vaudront plus un sou.
Aujourd’hui, donc, la manifestation «Expolangues» a fait de la langue arabe une invitée d’honneur. Un jour, l’arabe risque de devenir une curiosité placée dans quelque musée. Et ce sera déjà pas mal qu’il ne soit pas considéré comme une langue morte, tels le sumérien (Mésopotamie), le latin ou le grec ancien.