Bien que je ne sois pas particulièrement fan de la musique rap, j’ai ressenti la chaleur humaine, la rage de vivre, en écoutant quelques passages de chansons de rappeurs tunisiens. Pour ceux qui ne connaissent pas vraiment «le domaine», il est quand même bon de savoir que le rap a ça de particulier, qu’en général, on ne chante pas les chansons des autres, on n’est pas un chanteur qui apprend des paroles par cœur et va les réciter au rythme de la chanson. Non. Dans le rap, le chanteur écrit et compose ses chansons, il fait sa propre musique.
Cela donne une grande marge de manœuvre pour le chanteur, le jeune, qui fait du rap son mode d’expression, mais plus profondément, son mode de vie. C’est une culture le rap, paraît-il. Et le rappeur transmet tout, de sa vie, de ses envies, de ses peurs, du chômage, de la misère, de la ségrégation, et j’en passe, dans sa musique, par définition contestataire. Ce n’est pas le golf le rap, c’est la musique des laissés-pour-compte, des classes défavorisées.
A un certain moment, on les a taxés de copier l’Occident, ces rappeurs, de faire une musique qui n’est pas la leur. Je crois que maintenant on voit très bien qu’il existe un rap tunisien, avec une sensibilité et des paroles tunisiennes «derja», mélangées aux français ou à l’anglais -mélange qui garde une identité tunisienne. Et c’est ça qui est très intéressant, et qui fonde, parmi d’autres facteurs, une nouvelle musique tunisienne, une musique que la jeunesse s’approprie, écoute, et achète.
Justement, plus cette musique prend de l’essor, plus ces jeunes gagnent en visibilité, plus ils pourront produire des disques, et vendre. La boucle est bouclée. On aura gagné en renforcement de l’identité tunisienne chez le jeune, mais aussi une identité qui va rayonner autour de nous, et faire de nous un grand peuple, qui peut attirer plus de touristes en tout cas. Faut-il le répéter, le tourisme à deux balles, celui de la mer et du soleil, est condamné. On visite des cultures maintenant.
Sur le plan économique aussi, on aura gagné une dynamique, des emplois, de la richesse. Oui des emplois en effet, la musique et le divertissement en général, c’est un secteur d’avenir. Sans prétendre que ça peut résorber tout le chômage des jeunes, on peut quand même supposer que ça va faire baisser la criminalité et surtout la délinquance ordinaire ou légère des jeunes, enragés d’avoir 20 ans, une énergie à faire bouger des montagnes, et pas d’emplois.
Enragés d’être la génération sacrifiée de ce début de millénaire, alors que leurs parents, eux, avaient bien le vent en poupe, on pouvait travailler avec un simple certificat d’études, construire une maison, acheter une voiture, et avoir une vie confortable. Et comme par hasard, on écoutait Néema et Hédi Jouini alors….