«Perversion» du jeu politique et rupture avec le principe d’égalité des chances
entre les candidats. Voici les arguments avancés pour interdire la publicité
politique dans les médias. En fait, le vécu de la publicité politique dans les
démocraties recouvre des réalités complexes. On y pratique, lorsqu’elle n’est
pas interdite, un plafonnement des espaces pouvant être achetés dans les médias,
une limite aux dépenses au cours des campagnes électorales et on interdit son
utilisation pendant les campagnes électorales et les jours qui les précèdent.
Un décret-loi en préparation devrait interdire la publicité politique en
Tunisie. La question a été abordée par Kamel Labidi, président de l’Instance de
Réforme de l’Information et de la Communication (INRIC), dans la conférence de
presse qu’il adonnée le mardi 9 août 2011, au siège de cette Instance.
Il s’agit, pensent plus d’un, d’une œuvre de salubrité publique qui soulève,
néanmoins, plus de questions que n’apporte de réponses.
La question n’est pas facile à traiter même s’il est admis, au vu des
expériences des pays démocratiques, que l’interdiction de la publicité politique
définie comme «une activité à dimension économique poursuivant une finalité de
persuasion politique et est caractérisée par une diffusion payante» (voir
Jacques Gerstlé, Sociologie de la communication politique, Editions Armand
Colin, Paris, 2004, 255 pages), ne concerne, d’abord, que les médias dits de
masse (les mass-médias), ces moyens de diffusion collective de l’information,
qui produisent l’information, selon un mode industriel, et qui touchent un très
large public, selon la définition du chercheur français Francis Balle (voir
«Médias et sociétés», Editions Montchrestien, Paris, 2005, 721 pages ).
C’est-à-dire la presse écrite et électronique, la radio, la télévision et
l’affichage.
On peut comprendre les enjeux de cette interdiction sur laquelle les parties en
présence ne sont évidement pas d’accord. Pour les partis et hommes politiques,
cette interdiction les prive d’un moyen essentiel, efficace et rapide pour faire
connaître leurs programmes et agir sur l’opinion. Ils invoquent, à ce propos,
leur droit à bénéficier d’une expression libre de leurs opinions, sacro-saint
principe dans toute démocratie.
Pour les médias, les annonces, spots et autres affiches sont une source de
revenus dont ils ne veulent pas s’en priver.
Deux types de problèmes
Les pouvoirs publics, les acteurs associatifs dans le domaine civique et nombre
d’intellectuels (juristes, journalistes, chercheurs,…) ne l’entendent pas de
cette oreille dans la mesure où le recours des partis politiques à la publicité
«commerciale» pose, grosso modo, deux types de problèmes.
D’abord, et c’est loin d’être l’argument le plus important, la publicité
politique «pervertit» la vie politique, un champ noble, celui des idées et des
actions, bien commun partagé par tous dans une société. L’analogie entre
publicité politique et publicité commerciale est, pour eux, dangereuse.
Tous deux n’agissent-ils pas sur le “candidat-produit” de manière à favoriser
son adéquation avec “l’électorat-consommateurs”, créer la différence avec le
“candidat-produit”, et avec un minimum de moyens optimiser les ”
suffrages-achats “, pour reprendre les termes utilisés par Stéphanie Grondin,
dans un mémoire soutenu, en 2002, à l’Ecole Supérieure de Commerce de Toulouse
sur «Marketing politique et campagnes électorales en France: les enjeux»?
Ensuite, le recours à la publicité politique défavorise les petits partis
dépourvus de moyens. La publicité politique favorise, donc, les grands partis,
qui possèdent non seulement des moyens de financement importants, mais qui sont
capables, de par leur ancienneté, leur implantation, leur audience, leur
expérience du pouvoir, le charisme de leurs dirigeants, les alliances qu’ils
peuvent contracter avec les milieux d’affaires et autres lobbys, de lever des
fonds importants.
Conclusion: la publicité commerciale rompt avec un fondement de la vie
politique: l’égalité des chances entre les acteurs politiques dans une
démocratie.
Les Etats-Unis d’Amérique, un statut à part
La production, par exemple, d’un spot, dont le coût de fabrication peut
atteindre des milliers de dinars (cela dépend du scénario, de la notoriété du
réalisateur et des acteurs, des lieux de tournage, de l’utilisation ou non
d’effets spéciaux,…) et sa programmation sur une longue période, non moins
coûteuse, vont exiger beaucoup d’argent d’un petit parti.
Rien d’étonnant à ce que la publicité politique, notamment à la radio et à la
télévision, considérées comme les médias de masse par excellence, soit interdite
dans la plupart des pays démocratiques, ou très réglementée.
En fait, le vécu de la publicité politique dans les démocraties recouvre des
réalités complexes. On y pratique, lorsqu’elle n’est pas interdite, un
plafonnement des espaces pouvant être achetés dans les médias par les partis,
une limite aux dépenses au cours des campagnes électorales et on interdit son
utilisation pendant les campagnes électorales et les jours qui les précèdent; ce
qui restreint de facto les dépenses de publicité politique.
Le Japon fait la distinction entre les partis et les candidats dans son contrôle
des dépenses d’élection. Les candidats n’ont pas le droit d’acheter du temps
d’antenne. Ce qui n’est pas le cas des partis, pourvu que «les annonces
cherchent à attirer l’appui pour le parti et non pour des candidats en
particulier».
Un temps d’antenne gratuit pendant les campagnes électorales
Les Etats-Unis d’Amérique sont pratiquement le seul pays au monde où la
publicité politique connaît un statut à part. Une décision historique prise le
21 janvier 2010 par la Cour Suprême permet -au nom du premier amendement de la
Constitution et du droit à la liberté d’expression- aux entreprises, syndicats
et autres groupes d’intérêts de dépenser pour les élections présidentielle et
législatives des montants illimités dans des messages publicitaires. Des
dépenses qui s’ajoutent à celles engagées par les candidats eux-mêmes.
En France, la réalité est bien différente, la loi interdit en permanence la
publicité politique à la radio et à la télévision. Par ailleurs, une loi de 1990
interdit, en France, «pendant les trois mois précédant une élection,
l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité
commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication
audiovisuelle». C’est le même choix opéré en Belgique où la publicité politique
est autorisée depuis décembre 2010, le reste de l’année quel que soit le média.
La même loi stipule, toujours en France, que «Pendant les trois mois précédant
une élection, tout affichage relatif à une élection, même par des affiches
timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l’emplacement réservé
à un autre candidat».
Ce souci des pays démocratiques d’encadrer la diffusion des messages politiques
payés ne signifie pas pour autant un refus du législateur d’un accès des partis
et de leurs candidats aux mass-médias. Durant les périodes électorales, les
listes en présence se voient accorder un temps d’antenne équitable à la radio et
à la télévision.
Comme il arrive aux radios et télévisions publiques de programmer des émissions
où les partis politiques expriment leurs opinions sur tel ou tel autre aspect de
la vie publique. Ce type d’émission existe depuis les années 70 en Europe
occidentale.
Sans oublier les invitations lancées pour les représentants des partis
politiques pour sonder leurs opinions dans les différentes émissions politiques
notamment programmées par les chaînes publiques.
Toutes ces apparitions sont suivies par un ensemble d’organismes spécialisés,
qu’ils soient de régulation, de veille, de recherche ou encore de vérification
en matière de publicité, qu’elle soit politique ou non.
Ces organismes scrutent également toutes les manifestations de publicité
clandestine. Un article laudateur par-là, une émission de radio ou de télévision
dressant le portrait d’un homme politique ou présentant les faits et gestes d’un
parti, toujours sous leur plus beau jour: les médias peuvent tomber dans ce
travers se faisant payer cash ou roulant, en fonction d’un quelconque intérêt,
pour un mouvement politique ou pour un autre. Le propre d’une démocratie
n’est-il pas de placer des garde-fous pour assurer une transparence et une
égalité des chances entre tous les acteurs de la vie politique?
Ce souci a toujours également guidé l’action du législateur pour que les
sondages n’influencent pas la décision des électeurs en période électorale. Les
sondages de ce type, qui peuvent se révéler en la matière un outil redoutable,
sont, ainsi, interdits en France à «la veille de chaque tour de scrutin ainsi
que le jour de celui-ci».