Tunisie : Certains acteurs politiques sont immatures et incapables de communiquer!

Nos politiciens savent-t-ils communiquer? Une question qui ne fait pas trop réfléchir si l’on voit le peu de confiance que les jeunes et moins jeunes tunisiens accordent aux hommes et partis politiques actifs en ce moment. L’enthousiasme n’est pas aussi de rigueur pour s’inscrire auprès des bureaux de vote.

Certains justifient leur réticence à s’inscrire sur les listes électorales par cette méfiance envers le paysage politique actuel, ne sachant pas trop pour qui voter, soit par indifférence ou ignorance, soit étant peu convaincus des programmes des partis politiques. Etant actuellement à plus de deux millions inscrits, on estime que le total ne dépassera pas les 4 millions d’ici le 14 août, date de clôture des inscriptions, soit à peu près la moitié des citoyens aptes à voter.

Il est sûr que le Tunisien a une grande responsabilité dans cette démarche. Dans cette étape cruciale de l’histoire de notre pays, tout citoyen devrait chercher à connaître les acteurs politiques, être attentif à ce qui se passe dans le pays et participer aux débats et aux discussions. Mais cette situation met en cause également les acteurs politiques, qui sont, pour certains, encore immatures et incapables de communiquer efficacement avec les citoyens tunisiens, et surtout les jeunes parmi eux.

Crédibilité…

Tout tourne autour de l’acte de crédibilité qui semble être le maillon faible de la chaîne. Au reproche au gouvernement provisoire son éloignement des objectifs de la révolution; vis-à-vis des partis politiques, on déplore un égocentrisme qui «trahit» les attentes du peuple et donc servant les intérêts personnels. Ce qui expliquerait cet état de confusion dans lequel vit une bonne partie des Tunisiens.

Cet acte de crédibilité devrait être un premier pas vers l’instauration d’un climat politique serein, mais que les acteurs politiques doivent veiller à accomplir. En d’autres termes, concrétiser les promesses faites et donner des réponses tangibles. «Les partis politiques actuels vendent des espoirs démesurés et non tangibles. Ce dont a besoin la Tunisie actuellement est de bâtir des relations de confiance», explique Jamel Fakhfakh, CEO de l’agence Carte Blanche Tunis et expert en neuro-communication en Amérique du Nord depuis 2000.

Le fait est que la confiance a laissé place au scepticisme, surtout pour la jeune génération qui a fait la révolution, ou ce qu’on appelle dans le langage communicationnel la “génération X“, représentant près de 44% de la population tunisienne. «C’est une génération très jeune à laquelle il faut adresser un discours différent. Il faut comprendre ces attentes, ces préoccupations et y adapter le discours», ajoute M. Fakhfakh.

Changer de politique…

Nos hommes politiques devraient donc changer leur politique de communication. Etre plus directs, plus offensifs, plus tangibles, devrait être la clé de succès de tout projet politique! M. Fakhfakh estime que le neuromarketing apporte une réponse assez suffisante à cette problématique. Il s’agit d’un domaine qui n’est pas assez connu en Tunisie, mais qui s’est beaucoup développé ces dernières années en Amérique du Nord. Né en 2000, le neuromarketing a pris un élan considérable au Canada puis aux Etats-Unis d’Amérique. En fait, son approche est tout à fait originale, et elle n’est pas si compliquée que son nom l’indique.

Avant de s’appliquer à la politique, c’est la publicité qui en a profité. Son principe est simple: refléter les attentes des audiences et du consommateur. Et cette communauté de consommateurs ne doit pas être perçue comme un bloc mais comme un ensemble de sous-communautés ou plutôt de générations, pour que chacune d’elle s’adresse un discours différent et adapté.

Une approche originale qui s’appuie sur le concept du «consommateur créatif» qui décidera de l’originalité du produit et de son adaptabilité à ses besoins. Un produit qui le représente et auquel il s’identifie. Ce qu’on appelle en langage communicationnel «le paradoxe du miroir».

Communication citoyenne…

En politique, M. Fakhafakh estime que cette approche est tout à fait applicable et serait même très efficace dans le contexte tunisien actuel. Selon lui, le discours des acteurs politiques reste encore éloigné des aspirations du peuple. «Ce qui manque en Tunisie est la communication citoyenne qui s’appuie sur la personnalisation du discours. Un discours qui doit être compris par le peuple et parlé dans le langage du peuple», estime-t-il, ajoutant que «pour conduire un bateau, il faut comprendre la vague!»

La réussite de ce modèle communicationnelle passe par une segmentation du discours pour chaque génération. La tangibilité semble être le mot d’ordre pour établir la confiance et passer l’épreuve de crédibilité auprès des citoyens. «Il ne suffit pas de proposer des solutions aux problématiques actuels dans la société tunisienne mais de mettre en évidence, tangiblement, comment elles vont être concrétisées réellement», affirme l’expert.

Objectif commun…

En fait, cette approche est un investissement à long terme, visant à établir des fondements solides, des relations humaines profondes qui fait que le consommateur (dans le contexte commercial) et le citoyen ou électeur (dans le contexte politique) s’approprie le discours parce qu’il le reflète. Il s’agit de mettre en évidence l’objectif commun et non les objectifs personnels restreints.

«Ce qui se passe actuellement en Tunisie montre que le peuple tunisien est hyper-intelligent. Les discours sont décortiqués et analysés. Il y a intérêt à être transparent pour mériter la confiance du peuple et à harmoniser la communication pour le toucher de près. Il s’agit de focaliser sur l’intelligence collective et créer un consensus pour un objectif commun», souligne M. Fakhfakh.

Dans cette période cruciale où l’espoir a laissé place à la dérision, il y a un besoin urgent d’établir la confiance et la transparence. Et l’éthique sociale? «Elle doit être le premier volet sur lequel devrait travailler les politiciens. Il faut aussi éviter les jugements et l’engouffrement dans la désillusion sociale», estime l’expert.

En somme, les partis politiques ont une grande responsabilité dans l’apaisement du climat social et la consécration des objectifs de cette révolution inachevée. Préparer l’avenir de la Tunisie n’est pas seulement la responsabilité du gouvernement provisoire, c’est aussi la responsabilité des acteurs politiques. Bien qu’elle soit une période provisoire, elle est tout à fait fondamentale pour déterminer les acteurs majeurs de la scène politique tunisienne. Faire des promesses n’est plus vendeur en Tunisie, il s’agit de les tenir.