Si les Iraniens ont été les meilleurs philologues de la langue arabe, les
Amazighs en ont été les meilleurs pédagogues.
La période islamique de l’histoire des Berbères, sans être vraiment la plus
longue, est la mieux connue, parce elle est la plus récente et la mieux étudiée.
Il serait donc fastidieux d’énumérer les centaines de penseurs, d’écrivains, ou
de savants amazighs qui ont contribué à la constitution du patrimoine culturel
arabo-islamique. Mais, à titre indicatif, citrons-en quelques figures de proue.
Ce sont les Jazouli (mort en 1210), Ibn Muâté (1169-1231) et Ajerrum (mort en
1323), qui ont initié la mise en forrne de la grammaire arabe. Le livre d’Ajerrum
a été en usage dans l’ensemble du monde musulman pendant plus de six siècles,
sans être vraiment démodé même à nos jours.
Si les Iraniens ont été les meilleurs philologues de la langue arabe, les
Amazighs en ont été les meilleurs pédagogues. Ibn Battouta (1304-1377),
l’intrépide explorateur universellement connu, était un Berbère de la grande
tribu des Lawata. Le lexicographe Ibn Mandhor (1232-1311), dont l’ouvrage Lisân
al-Aarab reste une référence incontournable, est né en Égypte d’une famille
amazighe de Djerba. Le théologien et essayiste Lyoussi (1630-1691), a eu le
courage de tenir tête, seul, au sultan despotique marocain de son époque.
Et, pour que les Berbères d’Espagne médiévale ne soient pas en reste, citons-en
au moins deux: le premier étant Abbas Ibn Firnâs (mort en 887), à qui l’on
“attribue l’invention de la fabrication du cristal”, la fabrication d’une
horloge (manqana), et qui “fut même un lointain précurseur de l’aviation” (Ency.
Isl., I. p. 11), et le second étant Abu Hayyân al Gharnâté (1256-1344), le
polyglotte comparatiste en matière de langues.
Ceci dit, il faut signaler que l’adhésion des Imazighen à la culture
arabo-islamique n’a pas été des plus rapides ni des plus spontanées. Ibn Khaldun
nous dit que les Berbères ont apostasié une douzaine de fois, en quelques
décennies. Les méthodes brutales de ceux qui leur proposaient la nouvelle foi
les ont dressés contre elle. Après s’être libérés de la tyrannie arabe, grâce à
deux cuisantes défaites qu’ils ont infligées aux armées omeyyades en 741, ils
ont essayé de trouver une parade culturelle à l’islamisation.
Deux tentatives dans ce sens ont été entreprises, l’une par la fédération
tribale des Berphwata, et l’autre par celle des Ghumara. Ce sont les premiers
qui sont allé le plus loin dans leur entreprise: ils s’organisèrent en État, se
dotèrent d’une armée puissante, d’un livre sacré rédigé en tamazight, et
caricaturèrent, comme à dessein, quelques pratiques du culte musulman. Quatre
siècles plus tard, ce sont les Almohades, une autre fédération de tribus, qui
enfin battirent les Berghwata et les firent totalement disparaître de la scène
politique. Endoctrinés par un théologien du terroir, formé en Orient, les
Almohades, eux, s’étaient assigné comme objectif de réaliser l’union de
l’ensemble du peuple amazigh, mais sous la bannière d’un islam rigoriste.
Ils y réussirent largement, et sans qu’ils l’aient vraiment cherché, ils
ouvrirent la voie à une arabisation lente mais continue.
Ils n’avaient pourtant pas hésité, à un moment de leur règne, à exiger que les
muezzins et les imams fussent berbérophones. Après eux, ce fut une autre
fédération de tribus amazighes, les Mérinides, qui prit le pouvoir et pratiqua
une politique d’arabisation intensive de l’enseignement (Document n° III).
J’ajouterai simplement qu’à l’époque, l’irréductible opposition confessionnelle
entre les deux rives, Nord et Sud, de la Méditerranée, engageait les hommes
politiques et les gens d’Église des deux bords à toujours renchérir les uns sur
les autres dans les foires de l’intolérance et du fanatisme. Le monothéisme
a-t-il été vraiment un facteur de paix ? Vaste question qui me dépasse, mais que
je ne pouvais pas éviter de poser.