Terrible est la frustration des Tunisiens qui la ruminent tout le temps dans les
cafés, chez eux et partout où ils se trouvent! C’est que sept mois après la
Révolution tunisienne, ils sont encore sur leur faim: alors que près de 250
victimes sont tombées durant les affrontements ayant abouti à la libération du
pays, le président déchu continue, lui, à se la couler douce dans des draps
soyeux. Certes, la Justice tunisienne a dit son mot –et pas le dernier–, mais
par contumace, l’intéressé, malgré un mandat d’amener international, étant
encore en fuite avec son épouse.
La frustration des Tunisiens est d’autant plus poignante qu’ils ont suivi, ces
derniers temps, le déroulement du procès de Hosni Moubarak, notamment sur la
Chaîne Al Jazeera. Impotent, barbe de plusieurs jours (ça rappelle un peu Saddam
durant ses derniers jours), à peine capable de prononcer quelques mots du reste
inintelligibles, l’ex-Raïs égyptien, en présence de ses deux fils, est tout de
même là, présenté à la Cour et prenant connaissance des griefs qui lui sont
reprochés en attendant le verdict. A voir ces images, nous avons la nette
impression que les Egyptiens ont remporté deux victoires en une. Mais pas nous!
D’ailleurs, beaucoup parmi nous en sont arrivés au point de se demander si
Révolution il y a eu réellement chez nous; ils se demandent soudain si la
Tunisie ne s’est pas débarrassée d’un dictateur en contrepartie de 250 martyrs.
Deux questions viennent automatiquement à l’esprit. D’abord, qu’est-ce qu’un
mandat d’amener international? Qui l’assure? Qui en fait le suivi? Et comment se
fait-il qu’à ce jour il est resté quasiment lettre morte? Ne sommes-nous pas en
droit de savoir comment se font les choses et qu’est-ce qui a pu les freiner ou
retarder autant?
Or, c’est la deuxième question qui renferme une overdose d’amertume, un
trop-plein de déception. Quels rapports ont toujours entretenus les Etats
tunisien et saoudien? Sont-ce des rapports d’Etat à Etat, ou ceux, privilégiés,
d’un homme à un Etat? Qu’à ce jour, l’Arabie Saoudite ne se soit pas encore
décidée à extrader le président déchu ne peut vouloir dire qu’une seule chose:
Ben Ali est par-dessus tout, et tant pis pour la Tunisie! Et même si l’on nous
dit qu’il n’existe pas, entre notre pays et ce pays…frère, d’accord allant dans
ce sens, il n’empêche que l’Arabie Saoudite abrite sur son sol les… Lieux Saints
de l’Islam! Comment peut-on comprendre que le Serviteur des Lieux Saints garde
encore sur ce même sol béni un criminel, un usurpateur des biens de la Tunisie,
un dictateur pour tout dire?!… Comment?!… Se peut-il qu’à lui seul, Ben Ali
équivaille ONZE millions de Tunisiens et les surpasse même en termes de valeur
humaine?… Et que veut dire, à propos, ‘‘pays frère’’ ?… Frère à qui? A la
Tunisie ou à Ben Ali seul?… Terrible est notre déception!
EEt vous allez voir!… Nous sommes à présent à la veille des élections de la
Constituante. Après, nous attaquerons les étapes suivantes jusqu’à l’élection
d’un nouveau président de la République. Avec l’arrivée d’un nouveau chef
d’Etat, une page sera tournée. Définitivement. Et on oubliera tout. Tout. Les
250 martyrs seraient morts pour rien. Rien!… Nous respirerons –peut-être!– un
nouvel oxygène de liberté, de démocratie.