Tunisie – (2/3) : Mobilisation internationale pour en finir avec la corruption

Par : Autres

La mobilisation de la communauté internationale contre la corruption a progressé
de façon remarquable pendant les dernières années et a conduit à de résultants
tangibles. L’étau se resserre de plus en plus autour des corrompus, qu’ils
soient des individus, des entreprises ou des Etats et des gouvernements. Cette
mobilisation est émaillée par de nombreux jalons dont je me contenterai d’en
rappeler les plus importants.

D’abord, il y a eu la Convention des Nations unies contre la Corruption adoptée
en octobre 2003 et entrée en vigueur en décembre 2005. Celle-ci a constitué le
premier instrument international juridiquement contraignant de lutte contre la
corruption. Cette convention offre une plateforme pour les Etats membres pour
mettre en œuvre des politiques nationales en matière de lutte contre la
corruption. La convention consacre une bonne partie à la prévention de la
corruption, ainsi qu’à la coopération internationale, en particulier pour le
recouvrement des biens mal acquis.

Cependant, et bien qu’elle ait été ratifiée par 123 Etats, cette convention n’a
pas eu les effets escomptés. Les progrès au niveau de la transposition des
dispositions de la convention dans les systèmes juridiques des Etats et dans les
pratiques sont restés en deçà des attentes. Les
ONG actives dans ce domaine ont
dénoncé à maintes reprises l’absence de mécanismes de suivi de l’application de
la convention.

En revanche, plusieurs initiatives au niveau régional ont apporté des résultats
probants au niveau de la lutte contre la corruption. C’est ainsi que la plupart
des lois des pays de l’OCDE, ainsi qu’aux Etats-Unis criminalisent les actes de
corruption et les rendent passibles de poursuites judiciaires et
d’emprisonnement.

Mais le tournant décisif aura été celui opéré dans les pays de l’OCDE, et dans
d’autres également, qui consiste à criminaliser la corruption active d’agents
publics étrangers. Ainsi, grâce à la convention de l’OCDE sur la lutte contre la
corruption, corrompre un agent public étranger est considéré comme un délit et
constitue une infraction pénalement réprimé. C’est ainsi que les entreprises
originaires de ces pays peuvent être poursuivies dans leur pays d’origine pour
des actions de corruption commises à l’étranger. Quand on sait que vingt ans en
arrière ces entreprises avaient systématiquement des caisses noires pour payer
les pots-de-vin aux agents publics étrangers, notamment en Afrique
malheureusement, et que cet argent était déductible de l’assiette imposable dans
leur pays d’origine, on peut imaginer l’importance de cette avancée.

L’importance de cette mesure réside également dans le fait d’avoir contribué à
la formation d’un consensus au niveau international en étendant la
responsabilité de la corruption aux “corrupteurs“ et de ne plus la confiner aux
corrompus. C’est ainsi qu’on a commencé à distinguer entre “corruption active“
(le fait de corrompre) et “corruption passive“ (le fait d’être corrompu). Ceci
est un fait majeur.

Je me souviens la première fois en octobre 2005 à Puerto Rico, alors que je
présidais la première conférence de l’Union Mondiale des Ingénieurs sur la
corruption, un tollé général formé chez les délégations africaines qui ont
refusé que leurs pays soient désignés comme les seuls responsables de la
corruption et qu’il fallait chercher des solutions à ce phénomène chez les
corrupteurs des pays du Nord.

C’est grâce, entre autres, à cette loi qu’une entreprise de renommée
internationale comme Siemens a été épinglée par la brigade financière allemande
en 2007. “L’affaire Siemens”, qui a défrayé la chronique en son temps, a
constitué une première dans la lutte contre la corruption. Siemens a dû payer
une lourde amende à la Banque mondiale et en Allemagne, et à engager des
licenciements en masse qui ont touché le PDG et plusieurs de ses collaborateurs.

Mais cet accident majeur a été aussi une opportunité pour Siemens de réparer le
dommage causé au niveau de sa réputation avec l’implémentation d’un programme de
conformité “Compliance Programme’’ constitué de 104 points de contrôle, déployés
dans l’ensemble des entités du groupe. Ce programme a été accompagné du
changement du système de valeurs du groupe avec l’adoption de nouvelles valeurs
“High integrity, high business’’, ce qui lui a permis d’atteindre l’excellence
en matière de lutte contre la corruption.

Maintenant Siemens exige de ses clients, partenaires et fournisseurs un
engagement en faveur de la lutte contre la corruption. Elle va plus loin en
faisant subir à ses nouvelles recrues des tests d’intégrité pour évaluer leur
raisonnement éthique et tester leur aptitude à faire face aux dilemmes éthiques.

L’engagement des bailleurs de fonds pour la lutte contre la corruption n’est pas
également des moindres. Il suffit d’observer les efforts déployés par le
département de l’intégrité de la Banque mondiale pour se rendre compte de cette
évidence. Au-delà d’un certain montant, la Banque exige l’existence d’un système
de prévention et de détection de la corruption qui doit être intégrée dans la
gestion des projets.

De même, elle publie annuellement les entreprises et les individus, consultants
et autres qui ont été rendus responsables d’actes de corruption. Ces derniers
sont automatiquement radiés de sa liste.

La Banque mondiale est leader dans le domaine de la lute contre la corruption et
inspire les autres banques. Ceci fut manifestement concrétisé, il y a quelques
mois, par un accord historique entre toutes les banques, y compris la Banque
africaine de développement (BAD), la Banque européenne d’investissement (BEI) et
la Banque asiatique de développement. En vertu de cet accord, baptisé ‘’Cross-debarrment’’
ou aussi radiation croisée, tout individu ou entreprise qui est soit radié de la
liste d’une banque le sera systématiquement de celles des autres.

La culture de l’éthique comme préalable à la lutte contre la corruption

La lutte contre la corruption a pris une dimension pratique avec l’entrée en
lice du monde des affaires. Ce tournant constitue une avancée remarquable, car
c’est bien là où la vraie corruption a lieu. Les plus grandes entreprises se
sont engagées à éradiquer ce fléau et à s’abstenir de payer des pots-de-vin.

La notion de ‘’clean business’’ est en train de gagner du terrain. Plusieurs
initiatives s’inscrivent dans cette optique. On cite en particulier celle du
Forum économique mondial (PACI), partenariat contre la corruption qui est une
plateforme permettant aux entreprises de s’engager à adopter des politiques de
lutte contre la corruption et de les décliner en mécanismes et outils qui
aboutissent à des résultats concrets. Beaucoup d’entreprises se sont engagées
sur cette voie.

Les entreprises américaines sont pionnières dans ce domaine. Elles se sont
engagées très tôt dans des processus de formalisation de l’éthique dans les
systèmes de management. La manière dont les Américains abordent l’éthique relève
de l’approche utilitaire, ceci explique pourquoi l’éthique constitue une
tradition ancienne dans ces entreprises (ethics pay, ethics is good business).
La pratique managériale fait prévaloir l’éthique qui «correspond à l’intérêt
bien compris de l’entreprise à long terme». Plus de 90% des grandes entreprises
américaines possèdent une politique éthique formelle.

L’approche utilitaire est différente du processus d’instrumentalisation qui vise
à mobiliser l’éthique pour des besoins de communication et de prestige et qui ne
correspond pas à un contenu concret. L’éthique est considérée comme une arme
concurrentielle. La morale est la clé de la réussite. Sans éthique on peut
gagner à court terme, mais à long terme on perd. L’éthique est le moyen de
pérenniser l’entreprise.

(A suivre: La place de la Tunisie dans la lutte contre la corruption…)