Avons-nous encore un Etat ?

La première déclaration de
Béji Caid Essebsi, Premier ministre, avait, à
l’époque, rempli de joie une majorité «silencieuse» de Tunisiens. BCE voulait
rétablir la prépondérance et la dignité de l’Etat. Pour nombre d’entre nous,
cela rimait avec rétablissement de l’ordre, sécurité et suprématie de l’Etat de
droit.

Au bout de ces quelques mois d’exercice du gouvernement
BCE, nous devons bien
reconnaître notre déception.

Lorsque nous voyons l’état d’abandon des cités du Grand Tunis, la saleté, les
débits de tabac qui s’y plantent comme des champignons, les constructions
anarchiques, les marchands ambulants, la mendicité et l’absence de toute forme
d’autorité, nous sommes déçus.

Lorsque nous voyons l’Avenue Habib Bourguiba se métamorphoser en un grand Souk à
tel point que l’agence BIAT à l’angle Jamel Abdennacer est devenue une penderie
pour sous-vêtements féminins, nous sommes non seulement déçus mais nous nous
posons des questions à propos du rôle du gouvernorat, du ministère de
l’Intérieur et de la Mairie de Tunis. Existent-ils encore?

A quoi serviraient toutes ces institutions, si elles le sont encore, si ce n’est
à organiser la vie communautaire et publique?

Lorsque nous voyons des entreprises soumises aux chantages des chômeurs, «Nal’ab
walla nharrim», si je ne travaille pas, nul autre ne doit travailler dans une
logique absurde du style «je suis chômeur, j’ai tous les droits», nous sommes
déçus.

Lorsque des centres de production vitaux pour le pays sont paralysés à Enfidha,
à Gafsa, à El Mdhilla sous prétexte de problèmes sociaux devant des pouvoirs
publics pratiquement paralysés et une police passive pour ne pas être accusée de
brutalité, nous sommes déçus.

Lorsque nous voyons les médias s’attaquer impunément aux créateurs de richesses,
aux entreprises et aux opérateurs privés les stigmatisant tous de corrompus,
voleurs, dans l’inconscience totale et sans prendre en considération l’impact de
telles allégations sur le pays et les opérateurs eux-mêmes, nous sommes déçus.

Lorsque les juges et magistrats, expression de la primauté de la loi sont
attaqués, traqués et jugés eux-mêmes sans aucune forme de procès et sans
arguments convaincants, subissant les chantages des uns et les menaces et racket
des autres, nous sommes déçus.

La logique révolutionnaire du laissez faire, laisser passer doit-t-elle primer,
devons-nous tous souffrir l’anarchie, maintenant que nous nous croyons
débarrassés des corrompus?

Devons-nous nous soumettre aux chantages des émeutiers et bandits, ouvrir nos
frontières, apparemment ouvertes aux contrebandiers, prenant pour prétexte le
chômage pour s’attaquer aux intérêts du pays?

L’Etat, si Etat il y a, doit-il tolérer la destruction des biens publics,
l’attaque de ses représentants?

Devons-nous réduire la gestion des autorités à celle des faits divers, qui ne
sont d’ailleurs pas gérés, mais supportés?

Je ne peux m’empêcher d’envier à la Libye, ses révolutionnaires, car eux au
moins aiment leur pays au point de veiller à préserver ses acquis, eux au moins
ce sont de véritables révolutionnaires, ce ne sont pas des agitateurs qui se
prétendent révolutionnaires!