Le développement régional en Tunisie, de Bourguiba à Ben Ali (1) : Ni ‘programme’, ni ‘développement’, ni ‘intégration’

Par : Tallel

Les six décennies d’économie régionale tunisienne, de Bourguiba à Ben Ali, ne se
ressemblent guère. Mais les deux expériences qui les ont jalonnées, celle du
‘socialisme destourien’ (1960-1980) sous Bourguiba (1960-1986) et celle du
‘Changement du 7 Novembre 1987’ de Ben Ali (1987-2010), partagent le même
diagnostic: les performances sont toujours restées largement en deçà des
attentes.

Le développement régional à l’ère du socialisme destourien (1960-1986): des
programmes de développement rural intégrés à la politique des réformes des
structures, aux pôles de développement.


L’apparition du concept de ‘développement régional’ en Tunisie est relativement
tardive. Elle date du début des années 1990, soit quelques trente années après
l’entrée du pays dans l’ère de la planification. Jusque-là, le centralisme,
l’élitisme et le tropisme occidentalo-moderniste, qui marquaient l’exercice du
pouvoir depuis l’indépendance, renvoyaient à la majorité des gouvernants de
l’époque une image péjorative, dévalorisante, voire misérabiliste, de l’espace
rural tunisien. Un espace où le sous-développement économique, la régression
sociale, les blocages culturels, l’hostilité au modernisme bourguibien, les
polarisations arabo-islamiques, fondamentalistes et/ou unionistes, ainsi que les
fragilités sécuritaires, qui étaient réelles, contrastaient avec l’esprit
d’ouverture, la culture occidentale et le savoir-faire de la classe dirigeante,
intellectuels et syndicalistes confondus.

Le régime des PDR-PDRI (années 1960, 1970 et 1980) Tunisie urbaine vs Tunisie
rurale

L’espace territorial national était perçu comme la juxtaposition de deux
Tunisies : la Tunisie des villes ou urbaine ou du littoral, et la Tunisie des
campagnes ou rurale, l’arrière-pays, la Tunisie intérieure ou profonde. La
préoccupation des pouvoirs publics était d’assister ces ‘zones d’ombre’, comme
on les appelait, via des actions pompeusement libellées d’abord ‘Programmes de
Développement Rural’ (PDR), puis ‘Programmes de Développement Rural Intégré’ (PDRI).
Ce libellé allait s’avérer, avec le temps, n’être qu’un abus de langage. Il
servait, en fait, de catharsis, à une approche gouvernementale où il n’y avait,
dans la réalité des choses, ni ‘programme’, ni ‘développement’, encore moins
’intégration’.

Ni ‘programme’, ni ‘développement’, ni ‘intégration’

En effet, ce système de PDR- PDRI, qui a couvert les trois décennies du
socialisme dit ‘destourien’: 1960-1970-1980, s’était donné trois objectifs. Le
premier objectif était l’amélioration des conditions de vies des populations
rurales les plus démunies, et notamment de leurs conditions de logement, via
l’éradication des ‘gourbis’ (opération dite de ‘dégourbification’). Le second
objectif consistait en la création de sources de revenus via l’emploi massif de
chômeurs sur des ‘’chantiers’’ (les Hadha’irs) où les ouvriers étaient appelés à
effectuer des petits travaux manuels. Le troisième objectif, enfin, ciblait la
conservation des ressources naturelles (l’eau, les sols, et le couvert végétal).

En fait de ‘programme’, de ‘développement’ et ‘d’intégration’, les actions
menées ne furent rien d’autre qu’une somme d’opérations d’assistance ponctuelles
et éparses, confisquées’ de bout en bout par le parti au pouvoir, le Parti
Destourien, élaborées et exécutées de haut en bas par des commis de l’Etat, sans
participation aucune des populations concernées. Et même quand les aides
fournies avaient permis la construction de quelques petits ouvrages, ces
derniers avaient vite périclité, faute d’entretiens. Quant aux ‘emplois’ fournis
par les ‘chantiers’, on sait qu’ils étaient particulièrement précaires et
rémunérés par des salaires journaliers de misère, partie en nature, partie en
espèce, bien en deçà des besoins de subsistance.

A suivre, “L’approche dite des ‘réformes de structures’: le modèle agro-coopérativiste
(années 1960)“