C’est du moins l’impression que donnent aux journalistes certains membres du gouvernement provisoire de M. Caïd Essebsi dont les observateurs étrangers et locaux sont unanimes pour en souligner, hélas, le mauvais rendement, notamment en ce qui concerne quatre départements: la justice, l’intérieur, le commerce et le tourisme, la planification et la coopération internationale.
Tout récemment et à titre indicatif, lors d’une conférence de presse consacrée à la présentation du bilan des sept premiers mois de l’année, le ministre de la Planification et de la Coopération internationale, Abdelhamid Triki, s’est employé, pendant une intervention de plus d’une demi-heure, à mettre l’accent, en priorité, sur le bilan «négatif» de la révolution, à tirer des boulets rouges sur les «sit-inneurs» et autres grévistes, leur faisant assumer un manque à gagner pour l’Etat de plus de trois milliards de dinars (jeudi 24 août 2011).
Ces pertes sont générées, selon le ministre, par la baisse d’activité de plusieurs secteurs tels que les phosphates (-54%), les hydrocarbures (-14,4%), le ciment (-6,4%), produits spécifiques aux régions où la révolution a été déclenchée.
Toujours dans le sillage des résultats négatifs, il s’est longuement attardé sur l’augmentation de deux points du taux de chômage (16,3%), l’accroissement de la compensation estimée à 5.000 MDT contre 1.500 MDT prévus, la baisse des importations des biens d’équipement de moins 10,2%, le ralentissement des projets d’investissement public (-17%), l’impact négatif du cours mondial du pétrole sur l’économie du pays qui a atteint plus de 115 dollars le baril…
Le ministre avait également évoqué le recul de 17,3% des investissements directs étrangers (-17,3% à 820,8 MDT contre 992,5 MDT au cours de la même période en 2010), la suspension d’activité de 98 entreprises off shore (5.900 emplois perdus), la préoccupation des investisseurs allemands du climat social qui prévaut actuellement en Tunisie.
Pour le ministre de la Planification et de la Coopération internationale, cette inquiétude des investisseurs allemands risque, si rien n’est fait, de les pousser à migrer vers d’autres sites de production plus calmes.
Au rayon des résultats positifs, le ministre citera sommairement dans son intervention orale (c’est-à-dire sans chiffres à l’appui) la bonne récolte céréalière, la reprise du tourisme au mois de juillet, l’accroissement des exportations, particulièrement de celles des industries mécaniques et électriques (+23%), un taux d’inflation de 3,2%, l’augmentation des intentions d’investissements dans l’industrie de 22,2% contre 8,3% au cours de la même période en 2010, hausse des investissements de mise à niveau, accroissement notable des services (télécommunications, commerce, transport…), décaissement d’emprunts extérieurs à hauteur d’un montant de 1.600 MDT sur un total de 1.850 MDT sollicités par la Tunisie….
Le ministre a imputé cette dernière performance aux «siens» c’est-à-dire à ses amis de la Banque mondiale, de la Banque européenne d’investissement (BEI), de la Banque africaine de développement (BAD), de l’Agence française de développement (AFD), des bailleurs de fonds qui ne cherchent que leur profit.
Décryptage d’un discours contre-révolutionnaire
Cela dit, si on regarde de près cette conférence de presse, il semble qu’elle ne soit, pour le ministre, qu’un alibi pour transmettre des messages alarmistes aux relents, le moins qu’on puisse dire, «contre-révolutionnaires». Les indices en sont nombreux.
D’abord au plan du contenu. La plupart des informations, le ministre les a rendues publiques avant même la conférence (interviews accordées, quelques jours auparavant, au magazine L’Economiste Maghrébin, au site web de la chaîne saoudienne Al Arabia, aux intervenants lors des points de presse hebdomadaires au Premier ministère…).
Moralité: les informations fournies par le ministre n’étaient que du «réchauffé» et n’avaient aucun intérêt pour les journalistes.
Vient ensuite la tendance du ministre à exagérer les pertes et les moins-values, oubliant, délibérément, que les pertes humaines et matérielles générées par la révolution tunisienne (3 milliards de dinars et 300 martyrs) avec ses sit-in, grèves et autres dérapages sont dérisoires par rapport à l’ampleur de celles occasionnées par d’autres révolutions comme les révolutions libyenne, yéménite, syrienne et égyptienne.
Le ministre omet également que parmi les facteurs qui ont largement contribué aux pertes tunisiennes, figure en bonne place le mauvais rendement des départements ministériels qui n’ont jamais ni réagi à temps ni prévenu les dégâts.
A titre indicatif, depuis sept mois, le ministère de la planification et de la coopération internationale n’a jamais esquissé les grandes lignes d’une quelconque stratégie anticrise. La planification de crise ne relève-t-elle pas des prérogatives de ce ministère qui continue à maquiller chiffres et données statistiques? Sinon comment expliquer que M. Triki ait parlé d’un impact négatif fictif de la flambée du cours mondial du pétrole (115 dollars) alors que la Tunisie a toujours acheté, et jusqu’à ce jour, son pétrole à moins de 50 dollars le baril?
Comment expliquer cette autre tendance du ministre à jubiler de voir «ses siens» (imtâana) décaisser en un temps rapide plus de 80% des crédits sollicités par la Tunisie, passant sous silence que ses amis ne sont que des bailleurs de fonds animés par le seul profit et que le Tunisien réputé solvable va les payer, un jour ou l’autre, jusqu’au dernier centime, omettant en plus que de nos jours chaque Tunisien paye annuellement une dette de 300 dollars dont 100 dollars sous forme d’intérêt. Sans commentaire.
Comment expliquer également cette interprétation tendancieuse d’une enquête menée, en 2011, par la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-allemande (AHK) sur le degré de satisfaction des entreprises off shore allemandes en Tunisie? Le ministre en a retenu tout juste la «préoccupation des investisseurs allemands du climat social qui prévaut actuellement en Tunisie». Pourtant, selon cette même enquête, «de nouveaux groupes allemands ont manifesté leur intérêt pour s’implanter en Tunisie et n’attendent que l’amélioration de la visibilité que favoriseront les élections du 23 octobre prochain pour confirmer leur intention».
Décryptage: tout indique que cette révolution n’est pas du goût du locataire de ce département connu, durant le mandat du président déchu, par le maquillage des statistiques. On se rappelle encore ce fameux taux de pauvreté de 3,8% en termes monétaires, brandi par l’ex-ministre du Développement économique, Nouri Jouini, alors qu’en termes de misère humaine, il serait de l’ordre de 25%.
Apparemment, rien n’y a changé.