A- Une image éclatante du développement économique et social tunisien
En fait, l’image officielle qui sera donnée du développement régional en Tunisie, tout au long des vingt-trois années 1987-2010 couvrant ‘ l’ère du Changement du 7 Novembre 1987’, qui a succédé au socialisme destourien des années 1960-1980, est clonée à partir d’une image plus grande: celle du développement économique et social tunisien en général Cette image- mère, en somme, se présente sous la forme d’un tableau de bord du développement national où tous les indicateurs sont constamment au vert, rarement au jaune, jamais au rouge.
Des équilibres macroéconomiques, réels et financiers, qui feraient pâlir d’envie plus d’un pays de l’OCDE. Des taux de croissance économique, lesquels, sans rivaliser avec les performances des dragons asiatiques, et sans résoudre le chômage endémique dont souffre le pays, demeurent tout à fait honorables. Un revenu par tête d’habitant qui bondit de record en record. Des taux de productivité plus que confortables. Des flux d’investissement étrangers en augmentation ininterrompue. Une compétitivité internationale en progression continue. Une monnaie nationale qui avance à pas rapides et sûrs vers l’ère de la convertibilité totale, fixée à la fin 2012. Une résilience de l’économie tunisienne aux crises exogènes, mondiales (comme la crise financière globale 2007-2009), ou régionales (crise de la zone euro 2009-2010), de plus en plus affirmée. Une convergence accélérée de la Tunisie vers la société du savoir.
Et last but not least, des satisfécits en série, décernés périodiquement à notre pays par des institutions internationales prestigieuses pour la qualité de sa gouvernance économique, administrative, budgétaire, et de sa maîtrise des nouvelles technologies de l’information et des communications.
Avec des performances macroéconomiques aussi remarquables, le développement régional ne pouvait être qu’un ‘cygne blanc’ parmi tant d’autres. Avec, en plus, le potentiel médiatique qu’il recèle, et que l’Etat- parti avait tout intérêt à exploiter, le développement régional était appelé à occuper une place de plus en plus visible dans la planification nationale.
B- Une place de plus en plus grande pour le développement régionale dans la planification nationale
Un témoin du volontarisme de l’Etat en matière de développement
Au fil des années, le développement régional occupera, en effet, une place de plus en plus importante au sein de la planification centrale tunisienne. De très longs chapitres lui sont, en effet, consacrés dans les publications périodiques du défunt ministère du développement et de la coopération internationale: budgets économiques annuels, plans quinquennaux, rapports annuels sur l’état du développement, et autres perspectives décennales. L’impression qui s’en dégage, chiffres et réalisations concrètes à l’appui, est que le développement régional tunisien témoigne, de la manière la plus éloquente, du volontarisme dont les pouvoirs publics font preuve dans l’impulsion de la croissance économique et du progrès social à travers tout le territoire national, et plus particulièrement, dans les régions les moins défavorisées de notre pays.
Des résultats sans équivoque
Les résultats affichés se voulaient sans équivoque aucune : l’accès de toutes les couches de la population tunisienne, de Bizerte à Tataouine, à un mieux-être économique et social, quoiqu’ imparfait, est réel, effectif, irréversible et continu. Le lecteur assidu de cette littérature officielle cherchera vainement un bémol, une critique, une remise en question, l’expression d’une déception, l’aveu d’une erreur, d’un échec ou d’une négligence. « Tout est pour le mieux dans le meilleur du monde», comme le dit le célèbre Pangloss dans le ‘Candide’ de Voltaire.
C- Le questionnement du discours officiel sur l’état des lieux du développement régional dans la Tunisie de Ben Ali
Une image «trop belle pour être vraie»
Pourtant, l’image de la société régionale tunisienne qu’on cherchait à accréditer à travers tout le pays était «trop belle pour être vraie». Cette image Pan glossienne du développement régional en Tunisie ne saurait, en effet, être crédible, quand bien même la face de notre pays, de ses régions, les grandes comme les petites, les côtières comme les steppiques, les désertiques ou les montagneuses, a changé en mieux en plusieurs endroits.
Mais comme tout questionnement du discours officiel était réprimé, celui qui concernait le développement général l’était forcément.
Une arnaque statistique
Il a fallu attendre le martyr de Mohammed Bouazizi, le 17 décembres 2010, pour que les langues commencent à se délier. Les remarquables performances en matière de développement régional clamées par le gouvernement Ben Ali furent brutalement dénoncées comme n’étant rien d’autre qu’une arnaque statistique. Ministres du gouvernement provisoire, universitaires, journalistes, experts nationaux et internationaux de toutes provenances, se relaieront aux diverses tribunes qui leur sont offertes pour dénoncer avec force l’instrumentalisation des chiffres, la manipulation des données, l’occultation des réalités, dont le pays avait été victime, deux décennies et demie durant, voire davantage.
Bien évidemment, l’exigence de transparence, dont les pouvoirs publics sont les premiers comptables, aurait voulu qu’aucune des réalités du développement régional tunisien ne fût occultée. S’il y a eu faux et usage de faux dans l’information statistique, c’est dans la violation de cette exigence-là qu’elle réside. Nos partenaires pour la coopération au développement, de l’Union Européenne à la Banque Mondiale au Fonds Monétaire International aux Nations- Unies, sans oublier les agences de coopération bilatérale, et autre Forum de Davos, qui ne pouvaient pas ignorer cette gestion ‘active’, ‘créative’ de l’information statistique tunisienne, n’en sortent pas tout à fait indemnes. Ils avaient, tous, quoiqu’à des degrés divers, péché, qui, par omission, qui, par complaisance, en acceptant de voir quelques unes de leurs évaluations critiques censurer par les pouvoirs publics. «Il n’est pas d’éloge flatteur sans liberté de blâmer», disait Beaumarchais.
Un audit est nécessaire
Un tout autre débat, qu’il faudrait bien ouvrir, mais ailleurs que dans ce papier. Pour nous, l’image du développement régional tunisien, telle que nous la rapporte le discours écrit et oral officiel, est, au mieux, insuffisamment crédible, au pire, totalement non- crédible. En tout cas, l’état de dénuement économique, social et culturel dans lequel est enfoncée la Tunisie rurale ne laisse pas d’autre alternative. Et cela nous suffit pour plaider en faveur de la mise en place d’un audit exhaustif, transparent, indépendant et sincère des vingt-trois années de développement régional, dont la révolution du Jasmin du 14 Janvier 2011 tunisienne a sonné le glas.
A suivre: Deuxième partie: Les défaillances majeures de la politique de développement régional tunisien (Deuxième partie)