Demandez donc à des adhérents au parti d’Ennahdha de vous expliquer comment ils comptent trouver de l’emploi aux 700 000 chômeurs tunisiens. La réponse qui reviendrait assez souvent est: «Que les femmes restent chez elles, s’occupent de l’éducation des enfants et nous aurions des emplois à en revendre». Le hic c’est que parmi les 700.000 demandeurs d’emplois, il y a aussi des femmes et que les femmes tunisiennes ne sont pas prêtes à rester chez elles pour ne s’occuper que de leurs enfants, en tout cas pas par obligation.
Pas de réponse ou de programme économique à un problème structurel, plutôt une «solution religieuse», car la femme tunisienne est culturellement et socialement une femme active.
Maintenant supposons que la majorité de la constituante soit issue des courants islamiques ou islamistes ou de leurs sympathisants, comment pouvons-nous être sûrs qu’on n’entérine pas une loi accordant la primauté du travail à l’homme aux dépens de la femme? Ce n’est que supposition mais sous prétexte qu’il n’y a que les «Imbéciles qui ne changent pas d’avis», nous avons vu à maintes reprises Ennahdha et ses dirigeants faire des promesses qu’ils n’ont pas respectées, ou exprimé des opinions qu’ils ont vite fait de changer. Ils pourraient nous sortir dans la Constitution des lois identiques à celle d’interdire la naturalisation des relations diplomatiques avec Israël comme si c’était la priorité des priorités dans un pays qui souffre de maux autrement plus graves…
Qui nous certifie également que les partis de gauche ou dits nationalistes, ceux qui ont crié le plus fort, qui sont les plus médiatisés et les plus entendus si ce n’est écoutés, ne défendront pas des idées telles la nationalisation à la Ben Salah, ou style international socialiste ou encore ne préconiseront pas des lois engageant le pays dans des guerres de libération ou de lutte contre l’impérialisme?
Il est bien évident qu’Ennahdha ou d’autres partis idéologiquement similaires ont leur importance sur l’échiquier politique du pays, mais à condition qu’ils ne soient pas en porte-à-faux avec les vœux de la majorité «silencieuse» tunisienne ouverte et modérée, d’où l’importance de certaines assurances.
C’est au peuple de décider directement des prérogatives de la Constituante
Une proposition qui revient très souvent ces jours-ci: celle de l’organisation d’un référendum le jour même de l’élection de la Constituante. Pour, explique Mohsen Marzouk, ardent défenseur de cette proposition:
– «limiter les fonctions de l’Assemblée constituante dans le temps et dans l’espace, ce qui se traduit par l’élaboration d’une nouvelle Constitution en 6 mois;
– fixer les modalités pour l’élection d’un nouveau président de la République et l’organisation des élections législatives afin de passer du statut temporaire à celui durable, et assurer, ainsi, au pays stabilité et visibilité grâce à des représentants légitimes et un gouvernement fort, ce qui œuvrera à la dynamisation de l’économie;
– accorder à la Constituante élue le 23 octobre des prérogatives pour assurer un rôle de surveillances et de contrôle des prestations du gouvernement intérimaire, le temps d’organiser les législatives et la présidentielle.
Trois raisons donc pour encourager la tenue du référendum défini comme étant une procédure de vote permettant de consulter directement les électeurs sur une question ou un texte, qui ne sera adopté qu’en cas de réponse positive. Le référendum pour être donc, par excellence, l’exercice de la souveraineté du peuple et sa participation directe à décider sur les questions essentielles pour son avenir. Une participation responsable et consciente.
Qu’est-ce qui expliquerait, dans ce cas, mis à part nombre d’organisations de la société civile et 47 partis, la réticence de mouvements politiques importants et de partis reconnus à l’organisation d’un référendum?
Toujours selon Mohsen Marzouk, il existe plusieurs raisons:
– Il y a ceux qui ont peur que le gouvernement actuel soit maintenu encore, comme si 4 ou 6 mois de plus pesaient plus lourd sur l’échiquier politique que la transition démocratique elle-même;
– ceux qui sont de bonne foi mais n’ont pas une culture politique étendue et méconnaissent les étapes de la transition démocratique, estimant qu’un référendum est un luxe que la Tunisie ne peut pas s’offrir, et que le temps n’a aucune importance dans l’histoire d’un pays. «Ce n’est pas étonnant qu’on nous donne toujours l’exemple de la Révolution française qui a échoué puisqu’elle a produit un dictateur appelé Napoléon et que Robespierre et compagnie ont fini sous la guillotine comme ceux qu’ils ont décapité auparavant»;
– ceux qui veulent une rupture totale avec le passé, oubliant qu’une rupture totale n’est qu’illusion, et que rupture signifie une ouverture vers la continuité du système et de l’appareil de l’Etat revu et corrigé.
Il y en a aussi qui sont de mauvaise foi et qui refusent catégoriquement la tenue d’un référendum pour des raisons égoïstes et pour préserver leur ego, car ils ont toujours raison, les autres ont toujours tort.
D’autres ont une relation maladive avec le pouvoir et tiennent à en être les maîtres par esprit de revanche ou pour avoir en main tous les atouts: faire ou défaire le gouvernement, légiférer ou prendre les décisions qui engagent le pays. «Ils ne parlent presque jamais de transition démocratique ou programme économique… ils insistent sur le gouvernement de l’ombre, voulant sciemment plonger le peuple dans la suspicion et la paranoïa»…
Quels sont les scénarios possibles en cas de non tenue de référendum?
«Tout d’abord, concernant la composition du gouvernement lui-même. Il sera constitué de l’intérieur de la Constituante suivant les lobbies et les majorités élues. C’est ce qu’on pourrait appeler la “libanisation de la Tunisie“. S’il y a une majorité au sein de la Constituante, nous verrons les trois pouvoirs accumulés au sein d’une seule force politique, ce qui risquerait de mener le pays à une nouvelle dictature.
La Tunisie a besoin de passer rapidement le cap du transitoire, pour cela, une feuille de route précise doit être mise en place le plus rapidement possible. Les opérateurs économiques, qui ont mis leurs projets en veilleuse, les bailleurs de fonds et les investisseurs locaux et étrangers attendent des réponses claires quant à la marche à suivre parce qu’ils ne peuvent financer, investir ou construire dans l’ignorance de ce qui adviendra du pays.
Pour Mohsen Marzouk, les 47 partis qui défendent l’idée du référendum constituent un critère objectif pour défendre l’idée de sa tenue, mais le poids électoral n’est pas le seul critère déterminant, le plus important est d’avoir un consensus autour de l’idée même de son organisation. «La Tunisie en a grand besoin et plus que jamais dans cette phase, il y va de son avenir et de la réussite de notre révolution».
Le référendum est-il une solution? Nous avons présenté de manière que nous ne prétendons pas exhaustive le point de vue de l’un de ses défenseurs, nous reviendrons sur ses détracteurs, car au final, c’est le peuple seul qui décidera du oui ou du non.