Même dans le malheur, les ‘‘grands’’ restent toujours les plus Grands, les plus importants. Les petits, tout le monde les oublie. Hier, donc, et comme chaque année depuis dix ans, les Américains ont commémoré avec recueillement et beaucoup de théâtre leurs 3.000 concitoyens tombés un certain 11 septembre 2001 suite à l’effondrement des deux fameuses jumelles du World Trade Center, non sans rappeler, à chaque fois, que cette grande catastrophe était due à des éléments d’Al Qaïda d’Oussama Ben Laden. Pourtant, dix ans plus tard, rien n’est venu prouver réellement que l’attaque avait été fomentée par Al Qaïda, même si celle-ci, un peu fanfaronne, l’avait revendiquée stupidement.
Or, quand les Etats-Unis rient, tout le monde rit; quand ils pleurent, tout le monde pleure. La raison des plus grands est toujours la plus importante, elle passe en premier et efface sur son passage tous les autres événements. La date du 11 septembre est à ce point devenue de dimension planétaire que le monde entier s’en souvient à temps, en parle et manque tout juste de la commémorer au même titre que les Américains.
Les Arabes musulmans, eux, ont d’autres dates qui, en principe, ne rappellent que trop les tragédies qu’ils avaient essuyées dans des mares de sang incommensurables. Mais ils oublient. Leur oubli est tel qu’il peut parfois être assimilé à l’indifférence pure et simple. Mais ils se rappellent toujours du 11 septembre et en parlent comme s’ils y avaient perdu quelque chose ou comme s’ils y avaient participé de quelque manière.
Entre 1990 et 1991, la Guerre du Golfe avait fait 130.000 morts, dont près de 1.100 Koweïtiens. A partir du 20 mars 2003, la Guerre d’Irak avait coûté la vie à près de 111.000 civils. La même année, le 10 avril très exactement, un grand symbole, un grand témoin de la culture et de la civilisation arabes, en l’occurrence le Musée Archéologique de Bagdad, avait été pillé et saccagé de la manière la plus sordide: 140.000 pièces évaporées!… Le 15 mai 1948, plus de 700.000 Palestiniens avaient été chassés de leurs villes et leurs villages par l’occupant israélien qui avait détruit 418 villages; cette tragédie était dite la Nakba de 1948. La même Palestine avait enregistré deux autres dates bien tristes: la première Intifada du 9 décembre 1987, puis la deuxième Intifada du 28… septembre (!) 2000. On peut citer encore la date du 30 décembre 2006, jour de pendaison de Saddam Hussein: cette exécution ne mérite certainement pas quelques larmes, encore moins le recueillement, mais c’est le tout premier chef d’Etat arabe à avoir encouru la peine de mort sur décision d’un pays occidental. La date du 30 décembre recèle beaucoup d’enseignements majeurs.
Et alors?… Qui en parle?… Qui a jamais évoqué l’une ou l’autre de ces dates écrites par le sang des Arabes?… Mais hier, bien des chaînes de télévisions arabes s’étaient comme associées à la douleur des Américains pour diffuser, presque avec émotion, en tout cas avec beaucoup de gravité dans le ton, plein d’images de l’effondrement desdites jumelles.
On verra bien si le monde occidental se souviendra de la date du 14 janvier (Tunisie) et de celle du 11 février (Egypte)… Mais il y a fort à parier que les Arabes continueront à rire seuls, et à pleurer seuls. Le monde alentour s’en moque superbement