Le rapport annuel sur la compétitivité, élaboré par le Forum économique mondial de Davos, vient d’être publié. Il s’agit d’un rapport très attendu par la communauté des affaires dans le monde, mais aussi par les gouvernements et les institutions internationales.
Ce rapport évalue la capacité de chaque économie à produire des richesses, à créer des emplois, à attirer des investissements et, en général, à se positionner sur le marché mondial.
Il se base sur deux principales sources d’informations:
• des données statistiques fournies par des organismes internationaux tels que le FMI, la Banque mondiale, l’OMS, la FAO, l’OMC, etc. Il s’agit là de données fournies à l’origine par les Etats membres, corrigées parfois par des recoupements d’informations;
• des questionnaires remplis par des personnes opérant dans le monde de l’économie et de la finance et vivant dans le pays concerné (101 questionnaires pour le cas de la Tunisie).
Les informations ainsi collectées permettent d’attribuer à chaque pays des notes sur 111 critères au total réunis en 12 piliers qui, à leur tour, sont regroupés en 3 catégories de critères. Si la note globale et le rang attribués à chaque pays sont importants, les rangs concernant chaque catégorie, chaque pilier et chaque critère sont essentiels pour analyser l’origine du bon ou du mauvais classement de chaque pays.
La Tunisie à la quarantième place
Pour cette année (2011-2012), la Tunisie est classée 40ème sur 142 pays en termes de compétitivité. Elle perd de ce fait 8 places par rapport au classement de l’année dernière 2010-2011 (32ème sur 139 pays classés). Cette perte de 8 places n’est pas, à notre avis, si grave que cela peut paraître. Il faut dire que l’on s’attendait à un classement sensiblement moins bon compte tenu des perturbations qu’a connues notre économie après la révolution du 14 janvier.
Cette perte de 8 places reflète donc l’instabilité de l’environnement des affaires, mais elle reflète aussi une meilleure visibilité des défis que rencontre le pays et qui ont été mis en évidence par la révolution. Il s’agit notamment:
• d’une moindre qualité des institutions publiques et privées (23ème en 2010-2011 et 41ème en 2011-2012),
• d’un cadre institutionnel fragile: corruption et favoritisme,
• d’un appareil judiciaire qui n’est pas toujours indépendant,
• d’un problème de sécurité (14ème en 2010-2011 et 47ème en 2011-2012).
Deux facteurs semblent, par contre, bien résister en ce sens qu’ils demeurent bien notés d’une année à l’autre. Il s’agit:
• de l’éducation primaire et du taux de scolarisation des enfants,
• de l’environnement macroéconomique: en effet le niveau de la dette et le niveau du déficit restent parfaitement gérables.
Juste pour la comparaison
La Tunisie est donc classée 40ème sur 142 pays étudiés. Elle était classée 32ème en 2010-2011 et 40ème en 2009-2010.
Avec sa 40ème place, la Tunisie reste le premier pays africain en termes de compétitivité, suivie par l’Afrique du Sud classée 50ème (et qui gagne 4 places) et l’Ile Maurice classée 54ème (et qui gagne 1 place). D’autres pays nous intéressent en termes de comparaison: la Jordanie 71/65 (le premier chiffre représente le classement de cette année et le deuxième celui de l’année dernière), le Maroc 73/75, l’Algérie 87/86 et l’Egypte classée 94ème et qui perd 13 places.
La Tunisie est par contre classée 7ème dans le monde arabe. Six pays arabes sont en effet mieux classés que la Tunisie. Il s’agit de Qatar 14/17, de l’Arabie Saoudite 17/21, des Emirats Arabes Unis 27/25, de Oman 32/34, de Koweït 34/35 et de Bahreïn 37/37. Tous ces pays ont donc amélioré leur classement sauf les Emirats qui ont perdu 2 places et Bahreïn qui maintient son classement.
Les pays les mieux classés dans le monde sont la Suisse (1), suivie dans l’ordre par Singapour, la Suède, la Finlande et les Etats-Unis d’Amérique. Le pays le moins bien classé dans le monde est le Tchad (142ème).
Relativiser les résultats de ces rapports mais les prendre aux sérieux
Il faut relativiser les résultats de ces rapports en ce sens que les méthodes suivies pour aboutir à la notation ne sont pas sans failles. Le degré de fiabilité des données fournies par les Etats aux organisations internationales peut changer d’un pays à un autre. Les données puisées dans les questionnaires peuvent aussi souffrir d’un certain degré de subjectivité puisqu’il s’agit souvent de jugements faits par des personnes, faillibles par définition.
Il n’en demeure pas moins que les comparaisons d’une année à l’autre demeurent valables, car même si on se trompe on a tendance à se tromper de la même manière d’une année à l’autre. En outre, et c’est le plus important, ces rapports sont pris au sérieux par les Etats, les entreprises, les institutions financières et non financières, et les marchés en général. La meilleure manière d’exploiter ces rapports consistent, à notre avis, à se concentrer sur les points faibles et à essayer d’y apporter les correctifs nécessaires.
Trois groupes et douze piliers
En ce qui concerne la Tunisie, le classement à la 40ème place se détaille comme suit entre groupes (3) et piliers (12).
Groupe 1: Conditions de base 42
1- Institutions 41
2- Infrastructure 52
3- Environnement macroéconomique 38
4- Santé et éducation primaire 38
Groupe 2 : Facteurs de compétitivité 58
5- Enseignement supérieur et formation 44
6- Efficacité des marchés de biens et services 44
7- Efficacité du marché du travail 106
8- Développement du marché financier 76
9- Environnement technologique 58
10- Taille du marché 63
Groupe 3 : Innovation et sophistication 43
11- Sophistication des affaires 52
12- Innovation 37.
Si l’on creuse un peu plus dans le détail des critères, l’on trouve que la Tunisie se distingue par un bon classement sur quatre critères. Il s’agit de:
• La disponibilité des ingénieurs et des scientifiques 8
• L’impact de la réglementation sur l’investissement direct étranger 8
• La qualité de l’enseignement des mathématiques et des sciences 18
• Le gaspillage en matière de dépenses publiques 21.
Par contre, la Tunisie est mal classée sur un certain nombre de critères dont nous citons notamment:
• Le niveau des droits de douane 133
• Le niveau des taux d’imposition 122
• La flexibilité dans la détermination des salaires 119
• Les droits légaux (justice) 105
• La rigidité du marché de l’emploi 104
• La solidité des banques 84
• Le rapport salaire/productivité 81
• La disponibilité des services financiers 70.
Il s’agit de quelques exemples de facteurs qui ont contribué à détériorer le classement de la Tunisie en termes de compétitivité.
Pistes d’amélioration
Le rapport considère que les principales pistes d’amélioration du classement de la Tunisie sont les suivantes:
• La performance de l’administration
• L’accès des entreprises aux financements
• L’instabilité politique
• L’instabilité des lois et des règlements
• La rigidité du marché du travail
• La qualité de l’infrastructure
• La lutte contre la corruption.
Les partis politiques et la société civile, en plus du gouvernement, devraient prendre ce rapport (ainsi que d’autres) au sérieux et essayer d’en tirer des éléments pour leur programme et leur campagne électorale.
La réussite des élections du 23 octobre et la correction de certains des facteurs qui devraient être relativement faciles à corriger amélioreraient sensiblement le classement de la Tunisie pour l’année 2012-2013. La Tunisie devrait pouvoir s’offrir une place parmi les 30 premiers. Espérons.