Entretiens avec des étudiants candidats à un mastère professionnel, entretiens à réaliser –théoriquement- en langue française. J’ai fini par laisser tomber, et parler arabe, ou plutôt, cette langue hybride, arabe/français. Très mauvaise chose, oui je sais. Sauf qu’on est bien obligé de communiquer, à la fin….
En première année déjà, on reçoit des étudiants de trois catégories…
1- Ceux qui sont à l’aise en français, parce que papa et maman parlent bien cette langue, mettent TF1 le soir, et lisent des journaux français.
2- Ceux qui font visiblement beaucoup d’efforts, ont travaillé dur, et parviennent à formuler des phrases (à peu près) correctes, en mettant un peu plus de temps, il faut le dire, que les autres.
3- Et enfin, la catégorie majoritaire, celle des étudiants qui connaissent des mots du français, mais quand ils parlent ou écrivent, on dirait un télégramme à envoyer: «moi travailler banque», «dans le futur, moi je voudrais travailler dans une banque», etc.
Ce n’est pas que je préfère que les études se fassent en français, ce n’est pas la question, mais au moins, quand on choisit une langue pour acquérir le savoir, il faut s’y tenir. Ca peut d’ailleurs être l’arabe, l’anglais, ou même le chinois (paraît-il la première langue parlée dans le monde…). Ce n’est donc pas un écrasement identitaire au profit du français.
Que faire?
On ne peut pas corriger les lacunes d’un système, en deux jours. En un mois. En un an. Mais alors, quand est-ce qu’on va s’y mettre? Peut-on apprendre le français à un étudiant en troisième année, à 21 ans, et en quelques mois…? J’ai essayé de travailler dans ce sens, en créant un club de littérature. J’y invitais les étudiants à découvrir un livre, dont je lisais quelques passages, je parlais de l’auteur, du contexte, etc. Mais ça n’a pas vraiment marché. Les étudiants qui étaient intéressés et qui venaient au club (mercredi après midi, après les cours donc) étaient déjà bons en français! C’était des gens qui lisaient déjà, de temps en temps…Or mon objectif était surtout de recruter les «mauvais en français», de leur donner l’envie de lire et d’améliorer leur français par la pratique, pas les bons… Les bons étaient déjà bons.
On finit à la fin par se dire: qu’est-ce qui est le plus important, le message ou la langue? La langue étant un vecteur de communication, un outil, l’objectif est et restera: la communication, c’est-à-dire transmettre un message. Alors dans ce cas, je préfère un schéma à un discours, ou un texte mal écrit, à la limite de l’incompréhensible.
Nos étudiants sont très intelligents… mais
Ils sont malheureusement handicapés par la langue. Ils ne maîtrisent vraiment aucune des trois langues qu’ils sont sensés maîtriser. L’arabe, c’est le parent pauvre. Le français, c’est celui de FB et des texto (SMS), avec des abréviations, des chiffres pour remplacer certaines lettres, etc. L’anglais, lui, c’est du chinois.
L’étudiant n’arrive pas à écrire, sur sa feuille, dans les codes du français académique, les mêmes idées, génialissimes, qu’il expliquerait si bien à l’oral… L’handicap de langue est considérable, et il isole et limite énormément le potentiel de l’étudiant.
La langue est la clé -au sens premier- de toute connaissance. Maîtriser une langue donnée, c’est disposer des outils qui nous permettent d’exprimer nos pensées, de mettre des mots dessus. Maîtriser la langue, c’est aussi être capable de comprendre un débat à la télé, comprendre un article lu quelque part, s’ouvrir sur le monde, et la connaissance en somme.
Que faire dans l’urgence?
Le plus important ce serait que l’étudiant puisse exprimer ses idées. Demain dans l’entreprise, il ne va pas forcément parler en français, il va utiliser certains concepts, traiter certaines procédures, en français ou en anglais d’ailleurs. Mais il va parler sa langue natale avec ses collègues, c’est certain. Mises à part des entreprises particulières qui travaillent dans des domaines particuliers, le français sera surtout utilisé dans la rédaction de rapports, et de notes ou de projets, etc. Laissons au moins à nos étudiants la chance d’exprimer leurs idées.
Surtout dans les domaines de l’entrepreneuriat, c’est l’idée, l’envie et la compétence d’abord. Le plan d’affaires peut être très bien conçu et pensé, dans la tête de l’étudiant, sans qu’il soit capable de le formaliser… Je ne sais pas si Bill Gates ou Steve Jobs avaient écrit quelque chose, tout était pourtant si clair dans leurs têtes…
Une stratégie…
Le problème de la langue ne se résout pas en quelques mois. Il faut une stratégie, une volonté politique, avec des programmes et une infrastructure. Par exemple des bibliothèques dignes de ce nom dans les universités, et où il fait bon s’installer et lire, d’hiver comme d’été. Des bibliothèques qui seraient des lieux de vie, avec des grandes fenêtres qui donnent sur des jardins, avec des chaises confortables, un par terre propre, un espace cafétéria, des micro ondes en accès libre, pour chauffer son repas. Des bibliothèques avec des imprimantes en accès libre pour faire autant de photocopies qu’on le veut, sans être obligés de faire la queue la moitié de l’après midi et de perdre tout goût de lecture…
C’est trop demandé?