La conjoncture économique internationale est marquée par l’apparition des signes de reprise de l’économie mondiale. Toutefois, la persistance des niveaux élevés de l’endettement public dans plusieurs pays occidentaux et des taux de chômage exercent des pressions sur les perspectives de la croissance mondiale. Les retombées de la crise mondiale poursuivent leurs effets durant l’année 2011 mais avec moins d’intensité, notamment dans certains pays européens.
Nous signalons que les échanges de la Tunisie avec l’Union européenne se font à raison de 80%. La crise qui a frappé de plein fouet l’Europe a eu un impact sur la Tunisie.
Quelles sont les causes et les conséquences de cette crise? Comment les effets de la crise ont été atténués sur le plan international ? Comment la crise a généré une reconnaissance du rôle des pays émergents? Quels sont les enseignements à tirer pour l’avenir?
L’environnement international a connu une crise financière qui a éclaté en été 2007 et s’est transformée en véritable crise économique mondiale à l’automne 2008. Cette crise est révélatrice de la gravité de la spéculation du capital financier mondialisé.
Au-delà de sa portée financière, c’est son impact sur le plan économique qui préoccupe toutes les instances. Cette crise s’est intensifiée en 2009 et a tiré vers le bas l’économie mondiale. D’après la Banque mondiale, «le monde a traversé une crise profonde de par son étendue à tous les pays, son impact sur tous les secteurs d’activité et ses manifestations multiples».
S’agissant des origines de la crise, la base est due à la prolifération des crédits hypothécaires dits subprimes accordés par des banques américaines à des taux variables à une catégorie de clientèle à risque élevé à un moment où les taux d’intérêt étaient faibles. Dès le relèvement des taux directeurs, un pan de cette clientèle s’est trouvé dans l’incapacité de rembourser.
La baisse des prix de l’immobilier conjuguée au défaut de paiement a entraîné la faillite de grandes banques américaines qui se sont lancées dans des produits sophistiqués telle que la titrisation. L’effet de contagion s’est amplifié. L’intégration des marchés de capitaux a accéléré la transmission du choc et par conséquent la détérioration de la situation sur les marchés financiers internationaux (crash boursier). La plupart des analystes ont souligné le développement disproportionné de la sphère financière aux dépens de la sphère réelle. Notons que les flux monétaires essentiellement spéculatifs dans les pays riches sont 102 fois plus élevés que ceux correspondants aux transactions de biens et services.
En outre, il existe un autre facteur important d’apparition et de genèse de la crise, à savoir le laxisme en matière de contrôle et de transparence. L’accent a été mis sur deux dérapages.
Le premier est perceptible à travers la tendance d’un système ultralibéral à accorder au marché une liberté totale loin de tout rôle régulateur de l’Etat. Cette situation fut à l’origine de l’aggravation du fossé entre l’économie réelle et l’économie financière qui s’est orientée vers le profit rapide, alors qu’elle devrait être un appui aux secteurs de production.
Le deuxième dérapage consiste en la défaillance des mécanismes de contrôle des entreprises internationales et des agences de notation qui ont donné la preuve de leur incapacité à prévenir la gravité de la crise et à y remédier, d’où la décision des Etats d’instituer des mesures urgentes et de consacrer des budgets colossaux pour venir en aide au secteur bancaire.
La crise qui a frappé les marchés mondiaux a contribué à un regain important des critiques envers la forme exacerbée du capitalisme qui donne l’importance au capital, à la croissance du profit y relatif, aux possibilités de l’échanger, de l’accumuler et de spéculer.
Le dogme du laisser faire le marché a échoué. La crise prouve clairement que la mondialisation du commerce et de la finance exige une coopération et une réglementation mondiale, d’où la nécessité de développer le multilatéralisme et d’éviter les phénomènes du libéralisme à outrance.
En dépit des interventions des gouvernements dans plusieurs pays, notamment industrialisés à travers l’adoption de programmes de sauvetage financier (rachat de créances douteuses, injection de liquidités), l’environnement international a connu l’aggravation des retombées de la crise financière qui s’est propagée aux secteurs productifs et s’est transformée en crise économique.
Cette situation s’est traduite par une régression de la production mondiale évaluée à 2,2% en 2009, une chute de grandes banques et entreprises, un ralentissement des investissements, un accroissement sensible du niveau de chômage, la flambée des taux d’inflation d’où la détérioration du pouvoir d’achat et la baisse de la demande.
Les répercussions ont différé d’une économie à l’autre mais elles se sont abattues en premier lieu sur la confiance aux marchés. La récession a touché principalement les pays industrialisés, notamment ceux de la zone euro avec un repli de l’ordre de 4,2%. On mesure ainsi le choc qui a provoqué une récession grave dans les pays les plus avancés et un ralentissement marqué de la croissance dans les pays émergents et les pays en développement au début de l’année 2009, l’investissement s’est effondré aux USA (-20%). Les producteurs investissent moins donc achètent moins parce qu’ils vendent moins car la consommation a baissé, les exportations ont baissé, d’où la perte des postes d’emploi et l’augmentation du chômage.
Notons que le taux de chômage aux USA est passé de 4,7% en 2007 à plus de 10% en 2009.
Le plan de sauvetage adopté par les gouvernements, notamment européens, pour limiter l’impact de la crise, correspond à une politique keynésienne matérialisée en particulier par l’intervention de l’Etat dans l’économie. Les projecteurs ont été braqués sur les énormes déficits budgétaires et la sévère augmentation de la dette publique (transformation de la dette privée en dette publique). Dans ce cadre, la Banque mondiale a mis en garde contre de nouveaux risques tels que l’aggravation du chômage, Le danger des bulles spéculatives et les velléités de retour au protectionnisme. Un chômage à grande échelle affecterait dangereusement les banques par le défaut de remboursement des crédits.
Nous rappelons que les déficits sont plus que discutables quand ils servent à financer des dépenses courantes et non des investissements publics productifs.
D’après la Banque mondiale, le recul de l’ensemble de la région MENA a été marqué: après une croissance de 6,1% en 2008, le rythme est retombé à 2,2% en 2009.
Pour l’Afrique et particulièrement pour les pays du Maghreb, il y a au moins trois canaux qui sont touchés: l’IDE (l’investissement direct étranger), les échanges commerciaux et le tourisme.
Au départ, les pays du Maghreb se sont sentis à l’abri, leur système financier étant relativement déconnecté, monnaies non encore totalement convertibles, mais la transmission de la crise financière à la sphère réelle a été sensible et les résultats en 2009 reflétaient l’affectation de certains secteurs.
Concernant l’impact de cette crise sur la Tunisie, il faut signaler que le secteur financier n’a pas été directement affecté, les banques tunisiennes sont peu tournées vers les marchés financiers internationaux, les institutions financières tunisiennes n’utilisent pas de façon massive les techniques à l’origine de la crise. Il est évident que le passage de l’économie mondiale en 2008-2009 par une phase de récession a un impact sur l’économie tunisienne car la Tunisie est un pays ouvert.
Aucun pays n’a pu prétendre être à l’abri de cette crise que certains ont comparé à celle de 1929 bien que la situation soit différente en raison de la taille du secteur financier par rapport à l’économie réelle et du contexte de la mondialisation.
Notons qu’il n’existe pas de déconnexions entre sphère financière et sphère réelle de l’économie.
La baisse de la consommation en Europe a affecté le rythme de la croissance de l’économie tunisienne qui est tirée principalement par les exportations vers cette zone. La régression de la demande extérieure de la zone Euro a pénalisé les exportations tunisiennes et les IDE à destination de la Tunisie, ce qui a contribué au renforcement du chômage dans notre pays compte tenu du contexte démo-économique (le marché de l’emploi connaît une mutation quantitative et qualitative sans précédent).
D’autre part, nous signalons que la dégradation de la situation de l’emploi en Europe a entraîné une réduction des recettes du tourisme.
Conjugués à la hausse des prix des matières premières et du pétrole, ces facteurs ont affecté négativement la compétitivité de l’économie tunisienne et ses rentrées de devises.
Paradoxalement, la Chine a profité de cette crise pour accélérer sa marche et combler son retard. En 2009, elle a devancé l’Allemagne et s’est hissé à la première place des exportateurs mondiaux, elle a doublé le Japon pour s’imposer comme la deuxième puissance économique de la planète, derrière les Etats-Unis. Aujourd’hui, la Chine agit comme une force de stabilisation de l’économie mondiale. Les Etats-Unis, épicentre de la crise financière, voient leur pouvoir économique diminuer. La politique économique post crise reflète l’influence croissante de plusieurs pays émergents. La crise a le mérite de générer une reconnaissance du rôle des pays émergents devenus le moteur de la croissance mondiale. Clairement, les pays les plus riches ne sont plus les seuls maîtres de l’économie mondialisée. Les économies émergentes participent à la gouvernance de la mondialisation.
La crise mondiale a fait émerger un nouveau besoin: la nécessité d’une nouvelle gouvernance dont le schéma porte sur un certain nombre de sujets, tels que la sécurité, le respect des identités des peuples, l’emploi, le changement de l’architecture financière internationale, le renforcement des systèmes de contrôle, la prévention, la gestion des risques…
Actuellement on parle d’une nouvelle crise, la crise des dettes souveraines. Certains analystes la considèrent comme le deuxième épisode d’un long feuilleton dont le premier était celui des «subprimes». Il s’agit d’un mouvement de transfert du risque bancaire vers le public. Hier l’Etat était la solution à la crise bancaire, aujourd’hui l’Etat est le problème.
La Tunisie devrait tirer des enseignements du passé et profiter de la nouvelle géographie économique. En dépit de l’importance de l’accès de la Tunisie à une position de partenaire avancé avec l’Europe, elle a intérêt à réduire progressivement sa dépendance à l’égard de cette région et à s’orienter vers les pays arabes et émergents. Elle devrait œuvrer d’une part pour une politique de diversification des produits et, d’autre part, pour une politique de diversification géographique qui rendrait ses exportations peu sensibles à la conjoncture de ses partenaires européens.
En outre, il est important de procéder à un renouvellement profond des procédures d’action et de contrôle, de doter l’Etat d’un puissant système d’évaluation de l’impact des dépenses publiques sur la croissance et le bien-être de la population, de mettre l’accent sur la valorisation des ressources humaines étant donné que les ressources naturelles de notre pays sont modestes, d’éviter l’abus de pouvoir dans les sociétés et d’appliquer les principes de la bonne gouvernance: «la transparence, l’équité, la redevabilité et la responsabilité».