La corruption est définie comme étant l’abus de pouvoir à titre personnel ce qui se traduit par l’abus de confiance, le trafic d’influence, le détournement des deniers publics, le népotisme ainsi que la mauvaise interprétation des lois et des réglementations à des fins privées.
D’après la banque mondiale, les pertes dues aux pratiques illicites et à la corruption de par le monde s’élèvent de 1 à 1,6 trillion de dollars chaque année. C’est dire l’importance de ces sommes faramineuses qui pourraient faire disparaitre la pauvreté de la planète.
La Tunisie en a fait les frais avec la perte de près de 1,6% de croissance par an, soit près de 35.000 postes d’emplois. L’ancien régime a hypothéqué le pays par ses pratiques illicites, il a découragé les opérateurs privés en les asservissant, en les contrôlant, en les surveillant de près et surtout en exigeant d’être associé dans tout ce qu’ils entreprennent : « A chaque fois que l’ancien président entendait parler d’un homme ou d’un groupe qui devenaient influents et forts, il disait ‘’ils ont assez grandi, il faut les stopper. Du coup, ils ne pouvaient accéder aux marchés publics, profiter des crédits bancaires ou subissaient les « coups de poing du fisc » déclare amèrement un homme d’affaire qui préfère taire son nom. C’est dire à quel point la classe d’affaires était terrifiée à l’idée d’afficher sa réussite, sa richesse ou de se développer outre mesure.
Ce serait un banquier réputé pour son opportunisme et ses idées « noires », qui se reconnaitra d’ailleurs, qui aurait conseillé à Zine El Abidine Ben Ali de surveiller le capital et d’en maîtriser les ficelles pour maintenir le pays en laisse et surtout limiter la puissance du pouvoir de l’argent. Ce banquier a été le premier à faire les frais de ses conseils malsains…
Conséquence, alors que partout dans les pays arabes, les groupes privés grandissaient et partaient à la conquête du monde, en Tunisie les hommes d’affaire avaient fait de la maxime « Vivons bien, vivons cachés » leur devise. « Il suffisait de peu pour que le Président intervienne pour imposer un associé, les conditions d’acquisition d’un marché ou la création d’un projet important aux hauts responsables de l’Etat. C’est dire que le monde des affaires tunisien était entièrement sous sa coupe. Nombreux sont ceux d’entre nous qui en ont pâti. Ceux qui ont refusé toute association avec le Président ou ses acolytes se sont vus enlever des projets et il y en a même qui ont été menacés dans leur intégrité physique, leur liberté ou leur patrimoine, les plus proches, n’en ont pas échappé ».
Alliés ou adversaires, c’est ainsi que l’ancien président classait les opérateurs privés. Ils étaient traités en fonction de leur docilité et leur obéissance. Un degré d’asservissement jamais vu en Tunisie, même du temps de Bourguiba. La communauté d’affaire a réussi cependant à s’adapter à la situation et percer tant bien que mal aux échelles régionale et internationale. Dieu seul sait « les acrobaties » qu’elle a accomplie pour y parvenir sans oublier nombre d’opérateurs qui ont perdu des millions de dinars dans des affaires récupérés par la mafia dirigeante et qui ont avalé la couleuvre espérant ainsi échapper à la vindicte du président-roi.
Une administration pervertie
L’Administration a été pervertie pour servir les desseins de Ben Ali, la bonne gouvernance a été bannie des pratiques, n’étant prononcée que dans les discours officiels. Alors qu’estime, la Commission nationale d’Investigation sur la Corruption et les Malversations (CNICM) « le respect des valeurs fondamentales telles que l’honnêteté, le sens des responsabilités et la transparence dans les rapports humains et sociaux est indispensable pour l’amélioration du bien être collectif et la consolidation de la confiance à tous les niveaux ».
Pour la CNICM qui organise du 22 au 24 septembre à Hammamet une conférence internationale intitulée « Corruption et Malversations que faire ? », il ne s’agit pas de sanctionner corrupteurs et corrompus après coup mais surtout de mettre en place les mécanismes et garde fous nécessaires et d’agir sur les réglementations pour que la corruption ne devienne pas un fléau et ne menace pas les équilibres socio-économiques du pays comme c’est arrivé en Tunisie.
« Une nouvelle législation, de nouvelles règles et de nouveaux systèmes prévoyant les mauvaises pratiques et les comportements délictueux » c’est sur quoi planche la commission qui a d’ores et déjà soumis au gouvernement un projet de loi pour lutter contre la corruption et mettre en place une structure durable qui s’attelle à cela.
L’information et la communication entre les différentes structures gouvernementales ainsi qu’avec des organisations de la société civile dédiées à la lutte contre les malversations, devrait permettre de renforcer la lutte contre la corruption.
Plus de transparence dans les établissements publics et privés grâce à des cadres législatifs et institutionnels relève également du combat contre les mauvaises pratiques. Pour cela le système judiciaire doit disposer de tous les moyens dans la lutte anticorruption, sans pour autant tomber dans une justice populiste ou dans l’application d’un agenda politique. Ce qui ne servirait même pas la cause de la lutte contre la corruption et décrédibilisera le système judiciaire lui-même. Il suffit de voir la longue liste de noms des opérateurs privés interdits de voyager sur simples présomptions et sans aucune forme de procès. Il fallait qu’ils payent pour le départ de Saïda Agrebi…Soit une nouvelle forme d’injustice pour soi-disant servir la justice. « La justice, d’après Fabrice Hourquebie, désormais érigée en pouvoir authentique, est dotée d’une charge positive qui lui permet d’être le véritable pouvoir régulateur du pouvoir majoritaire. L’Etat de droit constitutionnel moderne, dans son volet politique, c’est-à-dire démocratique, appelle la construction d’une justice suffisamment forte pour être le rempart contre l’arbitraire… ». Notre justice l’est-elle aujourd’hui ? Car le danger est que dans le dessein de s’attirer la sympathie et l’approbation de la majorité, nous créons des précédents en perpétrant des actes ou des décisions injustes sur des minorités. Et dans ce genre de situation, personne n’est épargné, tout citoyen peut en faire les frais…
La loi mais pas seulement
Nous pouvons citer la loi comme seul moyen de lutter contre la corruption et de renforcer la confiance entre l’Administration et les citoyens. Ou encore, l’encouragement des pratiques de bonne gouvernance et de la transparence à tous les niveaux. Mais cela serait trop simpliste car la corruption puise également ses sources dans la pauvreté d’où l’importance de l’amélioration du niveau de vie des classes socioprofessionnelles les plus fragiles.
Pendant longtemps, nous avons vu nos compatriotes condamner les agents de police ou de la circulation qui sollicitaient des billets de 5 ou 10 dinars. Loin d’approuver ce genre de pratiques, il faut quand même rappeler que nombreux sont ceux qui acceptent de donner « ces pots de vin ». Ils encouragent ainsi les pratiques de ces agents certes corruptibles mais dont les revenues sont hélas plus que limités ce qui les fragilise et les rends plus que réceptifs à toutes sortes d’actes douteux. Chaque geste, même celui d’offrir un petit cadeau en guise de remerciement à un représentant des pouvoirs publics l’encourage à devenir un fraudeur et à profiter de son poste pour avoir des privilèges.
La corruption est l’affaire de tous et ceux qui dénoncent aujourd’hui à grands cris les pratiques douteuses de l’ancien régime doivent commencer par s’interdire toute velléité d’avoir un avantage en soudoyant, ou en offrant des présents ou des avantages à quiconque, à n’importe quel prix et sous n’importe quelle conditions.