Selon le dernier sondage d’opinions réalisé par l’Agence TAP et l’Institut de sondage et de traitement de l’information statistique (Isis), 72% des personnes sondées sont déterminées à aller voter le 23 octobre 2011, l’Assemblée constituante. C’est de toute évidence une bonne nouvelle pour un vote historique en ce sens où il s’agit pour la Tunisie du premier vote démocratique, depuis 3.000 ans d’Histoire.
Néanmoins, cette bonne nouvelle est entachée d’une autre révélation de ce sondage, moins bonne celle-là: les deux tiers qui ont l’intention de voter ne savent pas pour qui voter. Pis, même ceux qui ont arrêté leur décision, 45% d’entre eux pensent qu’ils peuvent changer d’avis à tout moment.
Les plus lésés par ce sondage sont les partis politiques. Seuls 7% des sondés en sont satisfaits. Les favoris sont les listes indépendantes auxquelles plus de 40% des personnes sondées leur accordent un avis favorable.
Moralité: si on croit ces révélations, rien n’est clair pour un Tunisien sous-politisé et tenu en hibernation depuis plus d’un demi-siècle. Aujourd’hui, dans l’ensemble, les Tunisiens sont inquiets et craignent surtout que la Tunisie vire vers une autre dictature. 37,4% des sondés estiment que la révolution est confisquée par des extrémistes et que le pire est à venir.
Les sondés semblent se fier ainsi au déterminisme historique. Celui-là même que l’universitaire et historien français Jean Tulard appelle dans son livre «Les Révolutions» la quatrième phase de tout processus révolutionnaire: le dérapage vers la terreur.
Pour l’historien, toutes les révolutions (française, bolchévique, mexicaine …) ont suivi la même évolution: «elles germent et naissent dans les mentalités grâce aux intellectuels, explosent dans les villes grâce aux couches populaires, favorisent, dans l’euphorie, une fraternité nationale avant de glisser, au final, dans la terreur, c’est-à-dire la prise du pouvoir par une dictature new look: un autre parti totalitaire, l’armée…».
Pour dissuader ce scénario, la loi électorale a prévu le vote selon la proportionnelle. Autrement dit, aucune tendance politique ne devrait avoir ’aura la majorité absolue dans la Constituante. Mais est-ce suffisant? Des alliances peuvent avoir lieu et déboucher à une dictature dont on ne connaît pas le nom.
La meilleure façon de faire le bon choix est, peut-être, de tirer des enseignements de l’Histoire de la Tunisie contemporaine. L’objectif est de distinguer entre les tendances qui ont réussi, celles qui n’ont pas réussi et celles qui ne peuvent pas réussir.
Au regard des raisons qui ont déclenché la révolution tunisienne, particulièrement le chômage et le déséquilibre régional, la tendance politique la mieux indiquée pour la Tunisie d’après-14 janvier devrait avoir une vocation essentiellement «développementiste». Il s’agit de faire rattraper les régions de l’intérieur, de concilier l’est et l’ouest du pays et d’éviter tout extrémisme (idéologique, politique ou religieux).
Sur la base de cette logique, au moins cinq tendances extrémistes, sans être exclues du paysage politique, gagneraient à ne disposer d’aucune majorité, du moins en cette période d’émergence de la première démocratie dans le pays.
Au premier rang de celles-ci figurent les anciens «RCDistes». Ces mafieux politico-financiers ont eu tout le temps matériel (plus d’un demi-siècle) pour immuniser le pays. Malheureusement, ils ont lamentablement échoué –en tout certains d’entre eux. Ils doivent relever désormais du passé.
Viennent ensuite les communistes dont l’idéologie est de nos jours anachronique et rappelle, en plus, aux Tunisiens de très mauvais souvenirs dont celui du collectivisme qui a déstructuré plusieurs régions économiques du pays (le nord-ouest, le sud et l’axe médian…).
Les nationalistes arabes, qui arrivent en troisième rang, jouissent d’une sinistre image au Moyen-Orient. Les dictatures qui s’étaient réclamées de cette tendance sont en voie d’extinction.
Les ultralibéraux, ces partisans inconditionnels du diktat du marché, sont également à écarter en ce sens où leur idéologie a été à l’origine de toutes les crises économiques et financières qu’a connues l’humanité au moins pendant trois longues décennies.
Enfin, les fondamentalistes et dérivés, qui vont probablement bénéficier «d’un vote sanction réconfortant», sachant cependant que leur rendement n’a jamais été positif nulle part. A court terme, ils constituent une sérieuse menace pour les acquis du pays. D’où tout l’enjeu de ne pas encourir le risque de les soutenir sans discernement.
Loin de donner des leçons ou d’agir sur les consciences, nous estimons qu’en l’absence de programmes politiques clairs et de partis convaincants et mobilisateurs, le bon sens commande que les Tunisiens aillent voter et surtout voter utile avec «zéro risque», si c’est possible. L’ultime objectif est de sauver tout juste la démocratie et la liberté, deux précieuses valeurs qui, pour peu qu’elles soient enracinées dans le pays et accompagnées d’une politique de développement et non de croissance équitable, nous permettront de prendre ultérieurement le risque calculé d’expérimenter de nouvelles orientations.