Le peuple tunisien n’a pas changé uniquement le cours de son histoire mais celui de tous les autres peuples de la région arabo-islamique. Après l’Egypte, la Libye, le Yémen et la Syrie, c’est aujourd’hui l’Arabie Saoudite qui entre dans… des réformes en autorisant les femmes à se présenter aux conseils municipaux et à être représentées au Majlis al-Choura –une Assemblée consultative dont les 150 membres sont désignés par les autorités.
Il n’est pas étonnant, dans ce cas, que l’Europe soit aussi prédisposée à soutenir les ambitions de ce petit pays à se repositionner sur les sphères sociopolitiques et économiques planétaires.
Entretien avec Adrianus Koetsenruijter, ambassadeur chef de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie à propos des nouveaux rapports de la Tunisie avec l’U.E.
WMC: Qu’est-ce qui a changé depuis janvier dernier entre la Tunisie et la Communauté européenne? Ces derniers temps, nous n’entendons plus parler du Statut avancé, il y en a qui demandent une position beaucoup plus avancée avec l’Union européenne, d’autant plus qu’on ne peut plus parler d’entraves relatives aux droits de l’homme?
Adrianus Koetsenruijter: Le peuple tunisien a décidé de changer le cours de son histoire, et ce faisant, il a transformé la nature de ses relations avec le monde entier, y compris avec l’Union européenne. Aujourd’hui, il ouvre beaucoup plus de possibilités avec la CEE avec laquelle elle est proche à tous les niveaux, aussi bien géographiquement qu’économiquement et culturellement.
Aujourd’hui, les Tunisiens peuvent et doivent être associés à différents degrés avec la CEE, d’autant plus que le gouvernement actuel a ratifié un certain nombre de conventions internationales et pas seulement en rapport avec les droits de l’homme mais dans bon nombre de domaines. Avant, nous luttions pour avoir son approbation, maintenant, cela a été fait d’un seul coup et même la convention internationale contre la torture a été signée.
Ce qui a changé, c’est que la Tunisie est entrée de plain-pied dans la communauté internationale et par conséquent, notre comportement à nous également est en train d’évoluer vers d’autres formes de coopération, beaucoup plus approfondies. Auparavant, quand nous devions discuter de projets en rapport avec l’éducation ou l’entrepreneuriat, nous devions obligatoirement passer par les institutions officielles comme les ministères. Ce n’est plus le cas; tout d’abord au niveau du principe, les ministres ne seront plus désignés, mais élus, ensuite parce que nous pouvons conclure des accords avec des organisations de la société civile.
Nous ne pouvions pas accéder aux responsables de régions que nous visitions seulement pour faire du tourisme, et nous ne pouvions pas, par conséquent, savoir ce qui s’y passait réellement et quel était leur contexte socio-économique. Ces derniers temps, nous avons signé 20 contrats avec des organisations non gouvernementales dans le social, l’environnemental et l’économique.
Les entrepreneurs tunisiens partant du fait que leur positionnement naturel étant l’Europe, comment comptez-vous soutenir l’entrepreneuriat?
Il faut comprendre que 2011 a été une année de bouleversements qui s’est traduit par la baisse des activités économiques dans le pays. La situation économique internationale n’est pas mieux nantie d’ailleurs, mais j’estime qu’il faut regarder plus loin et il faut reconnaître qu’aussi bien le positionnement géographique de la Tunisie que la qualité de sa main-d’œuvre en font un partenaire qui peut parfaitement s’intégrer dans l’économie européenne, même si son économie est relativement petite.
C’est une économie qui a intérêt à chercher une économie plus forte et de par le monde, il n’y a pas plus fort que l’économie européenne qui peut offrir à la Tunisie les moyens de coopérer dans de nombreux secteurs allant des moins sophistiqués aux plus perfectionnés. L’Europe offrira toujours à la Tunisie des opportunités importantes d’exportation de ses produits.
Pouvons-nous espérer une vision différente des opérateurs privés européens intéressés par des implantations sur le sol tunisien, à savoir investir plus dans les secteurs à haute valeur ajoutée que pour la main-d’œuvre bon marché?
Tout cela est possible, mais il faudrait y travailler. Les formations doivent être continues et perfectionnées pour pouvoir attirer des activités à haute valeur ajoutée et technologiquement supérieures. Le secteur financier, en premier lieu, doit évoluer en Tunisie, c’est d’ailleurs ce que ne cesse d’affirmer votre ministre des Finances spécialisé dans le domaine qui reconnaît que le secteur financier n’est pas capable d’offrir les services nécessaires aux entreprises; il faut par conséquent leur offrir les moyens de leurs ambitions.
Il faudrait ouvrir le marché financier à d’autres partenaires, européens et non européens et autres. L’économique doit fonctionner pour renforcer l’attractivité du pays. Nous évoluons dans un monde globalisé, si la Tunisie est plus ouverte, elle pourrait drainer aussi bien des Marocains que des Brésiliens.
Des programmes de soutien à l’économie tunisienne ont-ils été mis en place par l’Europe, que ce soit au niveau des financements que de la formation et de l’expertise?
Avec la Banque mondiale et la BAD, nous partageons des stratégies pour l’encouragement de la relance de l’économie tunisienne. Nous avons mis en place un programme de formation dans le secteur des services en direction des petites et moyennes entreprises; il ne s’agit pas des micro-entreprises. Nous visons celles qui sont bien placées sur le marché tunisien et comptent étendre leurs activités à l’international.
Vous ne parlez plus de négociations à propos de la libéralisation de l’agriculture ou des services avec le gouvernement tunisien?
Nous voulions en discuter avec ce gouvernement mais considérant lui-même qu’il n’a pas la légitimité requise pour entrer dans pareilles négociations, il a exprimé sa résolution de laisser le prochain gouvernement s’en charger, ce que nous avons respecté. Dans certains domaines, les discussions sont réellement ardues comme l’agriculture à propos duquel la Tunisie ne s’estime pas prête. Nous voulons relancer les discussions à propos de l’agriculture et de l’Open sky à partir d’Enfidha à partir de cette semaine.
L’Europe n’a jamais voulu interrompre ses négociations.
La Turquie serait-elle derrière la relance des négociations sur l’Open sky à partir d’Enfidha?
Non, c’est une décision 100% européenne, nous estimons que cet aéroport est le mieux approprié pour les compagnies aériennes européennes qui considèrent qu’il est le plus accessible. Par ailleurs, nous nous réjouissons du fait que la gestion de l’aéroport soit confiée aux Turcs qui ont conçu les contrats de services, ils y ont toujours réussi; et puis nous avons eu de bonnes relations avec les Turcs.
L’Europe est-elle inquiète par rapport au déroulement des procès des anciens hauts responsables ou des personnes accusées de corruption ou de malversations en Tunisie?
Je n’ai pas eu vent d’une telle inquiétude. En ce qui nous concerne, nous avons confiance dans la justice et les magistrats tunisiens que nous estimons assez professionnels, respectueux du droit et de la loi, intègres et compétents pour assurer le déroulement des procès dans la transparence la plus totale, sans léser qui que ce soit.
Pourquoi avoir mis en place une commission pour la récupération des fonds tunisiens gelés en Europe au sein de la Commission européenne?
Nous avons mis en place un comité à Bruxelles qui faciliterait aux Tunisiens toutes les procédures juridiques en Europe pour accélérer la récupération des biens et des avoirs gelés dans les banques européennes. Nous n’interviendrons pas, notre aide sera plutôt logistique, nous voulons accélérer les choses car la Tunisie en a besoin pour soutenir sa relance.
Les élections tunisiennes représentent-elles un enjeu pour l’Europe?
Je voudrais tout d’abord spécifier que les observateurs européens sont ici à la demande de la société civile tunisienne pour veiller au respect des règles dès le démarrage de la compagne. L’enjeu est important pour nous, un pays démocratique est un meilleur vis-à-vis pour nous. Non seulement entre gouvernements mais entre peuples. Les régimes totalitaires engendrent des peuples mécontents, et personne ne peut prévoir les conséquences des situations d’oppression non seulement sur les pays eux-mêmes mais sur les pays partenaires. 3.000 entreprises européennes et près de 5 millions de touristes en Tunisie, je pense que grâce à la démocratie, la Tunisie fonctionnerait mieux et plus, il y a moins de risque pour ce qui est des menaces terroristes et l’économie pourrait mieux s’épanouir.