«Il est plus facile de compter les opérations boursières qui ont eu lieu dans la transparence totale et ont répondu aux critères d’éthiques et de transparence requis que de faire le compte de celles réussies mais suite à des malversations ou des manipulations», a déclaré sur un ton ironique un analyste financier.
Oui mais, rétorque un autre, «lorsque nous évoluons dans un pays où le marché boursier est petit, où les spéculateurs sont nombreux et où nous ne sommes pas épargnés par le trafic d’influence, nous ne pouvons éviter les chemins tortueux que par une plus grande présence des autorités de surveillance. Le CMF doit sévir et avoir les moyens de le faire, il doit pouvoir mettre la paquet en matière de contrôle et de surveillance».
Il faut reconnaître que dans le cas du délit d’initié perpétré par des opérateurs sur les marchés financiers (Bourse) et commis par des personnes ayant acheté ou vendu des valeurs mobilières suite à des informations privilégiées non connues des autres personnes, on n’a jamais entendu parler d’une condamnation par le CMF ou le ministère des Finances lui-même à ce propos.
D’après Socrate Bennouri et Mehdi Ben Mustapha du CMF, qui ont présenté une intervention à l’occasion de la conférence internationale organisée par la Commission nationale d’Investigation sur la Corruption et la malversation, du 22 au 24 septembre à Hammamet, «la corruption peut toucher tous les secteurs économiques et tous les champs de l’entreprise, que ce soit dans le public ou le privé, ce qui implique qu’elle ne peut pas, bien entendu, épargner le marché financier». Dans ce marché, cela commence par l’obtention de listes des clients, des informations sur les prix, aux services bancaires pour l’obtention de prêts à taux très avantageux et jusqu’aux services financiers pour l’obtention d’informations privilégiées.
«La corruption crée des distorsions de concurrence et est le signe de lacunes dans la gouvernance des services publics et des entreprises», estime Mehdi Ben Mustapha. «Le délit est constitué dès lors qu’une personne tente d’insérer, ou insère effectivement, dans les règles de fonctionnement du marché des éléments extérieurs tendant à induire autrui en erreur».
Pour lutter, il faut mettre en place un ensemble de principes moraux à la base du comportement de l’individu, appelés communément éthique, estiment les conférenciers qui s’inspirent des recommandations de l’OCDE. «Une éthique se déploie sur les plans global, régulateur et celui des marchés financiers. Tout d’abord, par l’engagement politique, en donnant l’exemple et en commençant par publier la liste de leurs patrimoines et de leurs ressources. Ensuite, en responsabilisant les acteurs du marché ou les agents publics par des procédures administratives adéquates, l’évaluation des performances, l’audit et la supervision, mais aussi en mettant en place un code de conduite comprenant les valeurs, les missions, les droits et obligations des employés». Le but est de consolider la confiance des investisseurs et des divers intervenants sur le marché financier grâce à la mise en place de valeurs communes et des principes de comportements intègres et professionnels pour promouvoir la culture d’entreprise et lutter contre les fraudes.
Mais nous ne devons en aucun cas négliger l’importance d’un cadre juridique efficace. Ce qui implique droits et règlements qui établissent et font respecter les normes de conduite par la force de la loi, car la contrainte légale est généralement dissuasive beaucoup plus que punitive dans ce genre de situation.
Il est grand temps d’introduire l’incrimination de la corruption privée (transposition de la convention des Nations unies dans l’ordre juridique tunisien) qui n’est pas encore d’usage en Tunisie.
Il est important de sécuriser matériellement les agents publics
Indépendamment parlant de l’éducation et de la formation, la sécurisation matérielle des agents publics est très importante pour empêcher toute tentation et vulnérabilité face à l’appât du gain.
Les conférenciers prescrivent donc «de bonnes conditions d’emploi dans la fonction publique: traitement juste et équitable, rémunération et sécurité appropriées». Le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption revêt un intérêt plus que certain. Car elle assume, médias compris, un rôle de dénonciation et de surveillance.
A condition que la société civile et particulièrement les médias ne soient pas eux-mêmes impliqués dans la corruption. Car ces derniers mois, nous avons assisté à nombre d’exemples de médias rackettant la communauté privée, terrorisée à l’idée de voir son linge sale et parfois propre sur la place publique. Tout comme personne ne s’explique d’où arrivent tous les financements qui noient les associations anciennes et nouvelles.
En la matière, un des procédés les plus percutants et les plus efficaces suivis dans les pays anglo-saxons est celui du «whistleblowing (ou alerte éthique), c’est un dispositif qui tend à inviter les salariés d’une entreprise à dénoncer auprès de la hiérarchie les pratiques internes qu’ils jugent contraires à l’éthique. Les citoyens, peuvent également dénoncer un acte ou une pratique qu’ils jugent contraires à la loi et à la morale. Ce procédé même performant a pour conséquence la perte d’emplois des protagonistes de l’acte de whistleblowing ou le fait de les traiter en parias selon la culture établie surtout dans notre pays qui décrit tout informateur de traitre et d’espion. D’où l’importance d’accorder aux whistleblowers l’immunité et de les protéger contre toute volonté de représailles les visant.
Dans une interview parue sur le site Nawaat, un whistleblower qui avait peur d’être licencié donnait l’exemple d’un délit d’initié: «l’action de la Star a été multipliée par 5 en 3 ans. Les investisseurs qui avaient connaissance du projet de prise de participation d’un grand assureur français, Groupama, en 2008, se sont vite enrichis. Une mise de 200.000 dinars se transforme facilement en 1.000.000 de dinars. C’est un délit d’initié pouvant engendrer une forte sanction financière et de la prison ferme. Il suffit de vérifier les identités des personnes acheteuses courant 2007 et en 2008 et leurs positions dans la société. Vous risquez d’être surpris. Des PDG, administrateurs, conseillers… sont impliqués dans ces malversations. Vous pouvez aussi simplement demander la liste des actionnaires auprès de cette société».
D’autres exemples, peuvent être cités, comme celui de titres dont le cours atteint très rapidement des sommets, sans raison particulière, en tout sans justification logique. Tout comme tous les jeux d’achats et de ventes qu’on observe régulièrement sur certains titres et qui restent sans explications et sans que ces opérations provoquent une quelconque enquête du gendarme du marché.