Les protagonistes des affaires dans lesquelles sont impliqués, respectivement
l’ancien président de la République, des hauts responsables des ministères du
Transport et de l’Industrie ainsi que Moncef Trabelsi et Jalila Trabelsi,
comparaîtront bientôt devant les chambres d’accusation du Tribunal de première
instance de Tunis. Les affaires tiennent de l’abus de pouvoir, de la spoliation
des biens publics et du trafic d’influence.
Ainsi, le sieur Moncef Trabelsi a été appuyé par l’ancien président pour avoir
illégalement l’autorisation d’assurer le transport des produits pétroliers de la
société STIR à des sommes astronomiques. Jalila Trabelsi «fournissait», pour sa
part, Tunisie Télécom en services et en produits que la compagnie nationale de
téléphonie mobile payait sans en voir la valeur ou la nature…
Et ce ne sont que deux petits exemples parmi des milliers d’affaires et de
trafic de tous gendres instruits aujourd’hui par la justice.
Car la
corruption en Tunisie revêt des formes multiples comme l’a expliqué
Mohamed Salah Chebbi Elahssen du Contrôle général des finances lors d’une
conférence internationale organisée dernièrement par la Commission nationale
d’Investigation sur la Corruption et la Malversation (CNICM).
Elle apparait sous forme de dessous de tables ou bakchich, de fraudes
(falsification des factures, de données), d’extorsion d’argent, de concussions,
de favoritisme, de blanchiment d’argent et de défaut de la concurrence dans les
marchés publics.
Non seulement les formes mais également le nombre et les positions des personnes
corrompues diffèrent par ordre d’importance.
Ainsi, du temps de Ben Ali, il y avait la première ligne constituée de sa femme
et de sa famille, la deuxième ligne ses amis, alliés et les personnes qu’il
récompensait pour services rendus et qu’il asservissait par la même occasion et
les hauts fonctionnaires et employés collaborateurs.
Dans ces cercles restreints, il y en avait qui profitaient beaucoup plus que les
autres, comme Imed Trabelsi qui reproduisait à son niveau le schéma de son
beau-frère. Ne parlons pas des autres, ceux qui étaient courtisés par des hommes
d’affaires et autres qui aujourd’hui se dissimulent prétendant être des victimes
ou affichant un air innocent qui ne trompe personne.
Imed Trabelsi avait lui aussi ses hommes à tout faire et dans tous les secteurs.
Parmi eux, des personnes devenues des grands révolutionnaires, ils ont quand
même gardé leur business et certains contrats obtenus à l’époque de leurs
amitiés avec la famille. Certains «amis» ont pu, partenariat avec Imed oblige,
gagner des contrats, telles que l’organisation du festival du poisson de La
Goulette ou la mise en fourrière des véhicules durant la saison estivale 2010.
Etre proche des maîtres des lieux, cela paye! Le pire est qu’aucun titre de
propriété n’est écrit au nom d’Imed Trabelsi. Sociétés écrans? «J’ai bien peur
que le plus grand danger pour la Tunisie provienne des hommes de l’ombre, ceux
qu’on ne voyait pas mais qui profitaient largement du système et ceux qui n’ont
jamais été directement concernés et qui pensent aujourd’hui prendre la place de
ceux partis», a déclaré Michel Carles, magistrat français à la Cour des comptes
lors de la conférence.
Qui sont ces hommes de l’ombre et comment opèrent-ils? La
CNICM qui vient de
proposer la constitution d’un organisme national de lutte contre la corruption
devrait pouvoir arriver à en délimiter les contours à condition qu’elle ne
s’arrête pas aux «gros poissons», lesquels parfois ne le sont pas réellement.
Car il ne faut pas crier victoire trop tôt juste par ce qu’on ne voit pas la
partie cachée de l’iceberg «wa ma khafia kana aadham» (Ce que nous ne savons pas
est beaucoup plus dramatique).
«Il est souvent difficile, estime Mohamed Salah Chebbi Elahssen, de produire des
données statistiques précises sur l’étendue de la corruption et son ampleur et
d’appréhender ses coûts réels sur les économies».
2% de moins de croissance à cause de la corruption
L’ordre de grandeur estimé par la Banque mondiale à propos des pertes engendrées
par la corruption est de 2 à 5% du PIB mondial. Mais le coût de la corruption
reste, souvent, difficile à évaluer parce que l’acte de corruption se passe
entre des individus dans le plus grand secret, indique M. Chebbi.
En Afrique: «la corruption affecte plus les Etats africains qui y perdent 25% de
leur PIB chaque année», selon (Anti-corruption Ressources centre – 2007), en
appliquant ce taux de 25% au PIB de la Tunisie en 2010, le pays aurait perdu
environ 11,3 milliard de $ US. Ce qui est fort probable à voir les affaires de
corruption qui défilent chaque jour devant les commissions et la justice
tunisiennes. Pourtant, Transparency International classait la Tunisie au 59ème
rang. Erreur! Dénoncent les experts, la corruption a gangrené la Tunisie et
cette notation ne décrit pas la réalité des choses.
Pour Mohamed Salah Chebbi Elahssen, «le niveau de corruption en Tunisie se
situerait entre 2,28 et 11,3 milliards de $ US, soit l’équivalent de 3,19 à
15,82 milliard de dinars, ce qui nous donne une moyenne de 6 à 7 milliards de
dinars par an. Ces estimations révèlent, ainsi, l’ampleur du phénomène et son
impact sur les services et plus particulièrement sur les marchés publics. En
Tunisie, les marchés publics représentent 18% environ du PIB, soit 11,4
milliards de dinars ou l’équivalent de 8,15 milliards de $ US».
Reste que les données statistiques précises sur l’étendue de la corruption sont
difficiles tout comme son ampleur et ses coûts réels sur les économies.
«L’introduction de nouvelles procédures et la création de commissions lors de
l’ère Ben Ali, contrairement aux textes en vigueur, prétendaient améliorer et
simplifier les procédures, mais en réalité il s’agissait de manœuvres facilitant
la corruption. La modification des textes réglementaires avait pour objectif de
s’attribuer ou d’orienter des avantages financiers ou fiscaux vers des intérêts
personnels».
La Tunisie a ainsi vécu ces dernières années des opérations visant l’octroi
d’autorisations ou agréments sans respect des conditions d’exercice de
l’activité considérée. Nous avons vu maintes opérations d’abandon de créances
bancaires sans arguments convaincants, et contrairement aux procédures de
recouvrement en vigueur ainsi que l’attribution de terres domaniales à des
personnes et à des proches au dinar symbolique par des décrets non publiables.
Le pouvoir en place aurait même approuvé des rémunérations et des avantages
pécuniers décidées, par des décrets non publiables, des marchés importants,
conclus de gré à gré et sans respect du principe de la concurrence ou
attribution de marchés à des proches contrairement à l’avis de l’acheteur public
ainsi que des fonds publics utilisés à des dessins purement politiques.
Les machines des commissions et des enquêtes de justice mises en branle après le
14 janvier pour juger corrompus et corrupteurs ont un rôle plus important à
jouer: celui de dépasser le premier cercle pour chercher les deuxième et
troisième cercles. Car il s’agit là de s’attaquer à tous le système et de ne pas
s’arrêter aux personnes.