Sur le réseau social Facebook, était lancée il y a près d’une quinzaine de jours la question de savoir si les utilisateurs de la toile étaient pour ou contre la peine de mort (en Tunisie, ça va de soi). Puis, le 24 septembre, est paru un article sur le journal La Presse de Tunisie faisant part de la naissance d’une Coalition nationale pour la suppression de la peine de mort. A notre humble avis, la question est par trop délicate pour se contenter d’un simple oui ou non. Il y a beaucoup à dire.
La question de la peine de mort devrait, pour être discutée avec logique et lucidité, inviter les personnes intervenantes à dire le plus honnêtement du monde de quel côté elles se placent: du côté de la victime, du côté de la famille de la victime, ou du côté du coupable. Sans cela, on tomberait dans la confusion totale et un dialogue de sourds où plus personne ne comprend l’autre. Mais ce n’est pas tout. Il faudrait également –surtout– ne pas perdre de vue l’échiquier, disons l’espace qui nous réunit et propose un tel débat, c’est-à-dire le pays: la Tunisie.
N’en déplaise aux admirateurs inconditionnels de l’esprit des lois françaises, il y a tout lieu de rappeler que la «Tunisie est un pays arabe, dont la langue est l’arabe, et dont la religion est l’islam». Jusqu’à nouvel ordre, c’est le cas. Le jour où on changera par d’autres ces termes de la Constitution, on jettera à nouveau le débat sur la table. On n’en est pas là encore (et rien ne dit qu’on en sera là un jour, sauf quelque révolution d’une tout autre nature).
La France a donc choisi d’abolir la peine de mort il y a environ une trentaine d’années, un choix appuyé par une loi devenue indiscutable et irréversible. C’est son choix. Et elle est libre de faire évoluer sa société comme elle l’entend. S’il se trouve que son choix est tout à fait pertinent et judicieux, tant mieux pour elle; le cas contraire, elle l’aura tout simplement voulu. Mais ce qui demeure certain, c’est que rien ne nous oblige à calquer stupidement et aveuglément sur tout ce qu’elle entreprend au chapitre de la législation. Chaque pays a ses propres spécificités, sa propre société (surtout!), sa propre culture, et sa propre vision des choses. Il est vrai que la Tunisie a hérité de nombreuses lois françaises du fait du colonialisme, mais il faudrait savoir être soi-même parfois et considérer les choses selon la nature du peuple concerné; ce qui est applicable sur un Français ne saurait forcément l’être sur un Tunisien. Car –jusqu’à nouvel ordre– le Français reste Français, le Tunisien reste Tunisien.
Il est clair, donc, que tous ceux (et celles!) qui oeuvrent aujourd’hui à cor et à cri –et par écrit– pour la suppression de la peine de mort se placent indiscutablement du côté du coupable. (On frémit déjà à l’idée qu’il existe des individus qui se placent du côté du coupable!). Ces hérauts de la suppression doivent certainement n’avoir dans la bouche qu’un seul argument: ‘‘humanisme’’, ou, peut-être, ‘‘droits de l’homme’’. Alors, on va se placer, nous aussi –pour les besoins de la discussion, pas pour le défendre– du côté du coupable. Mais à la base d’un exemple réel. Le voici.
Au milieu des années 1990, un m’zaoudi entraîne avec lui un enfant de six ans, lui offre une tablette de chocolat, le conduit dans un cimetière, le sodomise, puis, soudain paniqué, lui fracasse le crâne au moyen d’une grosse pierre. Il le tue.
Questions. Est-ce que cet individu –qui a plaidé coupable, du reste– a fait, lui, preuve d’humanisme au moment de sodomiser et de tuer l’enfant?!… A-t-il eu, une petite seconde avant les faits, le réflexe humain de ne pas passer à l’acte? En termes très clairs: a-t-il eu la moindre notion humaine de freiner ses pulsions criminelles et de stopper son plan funeste tant qu’il est temps? A-t-il pensé une seule seconde que cet enfant est un homme en ‘‘construction’’ et qu’il a, lui aussi, droit à la vie?! Comment oserait-on parler d’humanisme et de droits de l’homme en direction d’un individu qui fait fi de tout sens de l’humanisme et de la moindre notion des droits de l’homme?! Comment?!
Il n’est pas possible, hélas!, de se placer du côté d’une victime décédée. A la limite, on pourrait se placer du côté d’une victime qui aurait échappé au pire. Une seule question en ce qui la concerne: pourrait-elle pardonner à son agresseur?… Quitte à choquer tout le monde, on va dire: si elle se montre capable de pardonner, c’est que sa personne ne vaut rien du tout. Auquel cas, quiconque a le droit de l’agresser impunément, car elle le veut et… le vaut bien.
Pour se placer du côté de la famille de la victime, on va illustrer nos propos par un exemple réel, très récent. En principe, l’Américain Troy Davis a dû être exécuté le 21 de ce mois vers 19 h pour le meurtre d’un policier en 1991 dans la ville de Savannah. Qu’a pu ressentir la famille du policier au moment du meurtre, tout le monde peut imaginer cette douleur. Mais qu’a-t-elle ressenti le jour du procès (elle était présente) en apprenant la condamnation à mort, cela a été montré. Yahoo! a diffusé une image incroyablement émouvante: les membres de la famille se sont jetés dans les bras les uns des autres en pleurant de joie. C’est un moment magique. Un sentiment magique. Celui de savoir que le sang de leur parent n’a pas été à vau-l’eau. Qu’il a été lavé. Qu’il a été –surtout!– vengé. Cette profusion de joie et de larmes n’a qu’une seule explication: ce policier était très cher pour sa famille.
Nous ne comprendrons jamais que la vie d’un homme –le meurtrier– vaille beaucoup plus que celle d’un autre –la victime– au point de souhaiter qu’il échappe à la peine de mort. Ça nous donne le vertige.
Une petite précision s’impose: si la condamnation à mort de Troy Davis a soulevé tout un tollé un peu partout dans le monde, c’est tout simplement parce que ce dernier n’a pas cessé de clamer son innocence jusqu’au bout. Mais là, c’est un cas un peu particulier, différent, car il se peut qu’il s’avère effectivement innocent un beau jour. D’ailleurs, le vœu (en Europe et dans tout l’Occident) de voir supprimée la peine de mort s’appuie surtout sur cette présomption: on ne veut pas courir le risque d’exécuter quelqu’un dont, plus tard, un nouvel élément de l’enquête pourrait innocenter après coup. Mais notre propos, ici, ne tourne pas autour de la probabilité, mais sur l’aveu d’un crime commis. Cela change tout.
Question. Est-ce que l’erreur judiciaire (elle se produit une fois tous les vingt ans) est en soi un argument très valable pour décider la suppression de la peine de mort? Dans ce cas, il n’est nul besoin pour l’accusé de clamer son innocence puisque, de toute façon, il restera en prison jusqu’à preuve du contraire.
Deux autres points méritent d’être soulignés. D’une part, certaines voix, dans notre pays, avancent l’idée (très poétique, à l’orée du ridicule) que le pardon (de la famille ayant subi une tragédie) est une élévation, cela relève de la noblesse de l’âme. Vous entendez?… Noblesse de l’âme!… Demain, quelqu’un tuera mon enfant de six ans dans des situations abominables, et moi, je crierai sur tous les toits –pour signifier la noblesse de mon âme– que je lui pardonnerai son crime!… Là, franchement, on ne rêve pas, on fait un véritable cauchemar!
D’autre part, quelques voix avancent que, de par le monde, des études auraient démontré qu’un individu condamné à seulement quelques années d’emprisonnement, et à la place de la peine de mort –ce qui veut dire qu’il a la chance de se voir gracier un jour– peut être inséré dans la société et se racheter sur les plans moral et citoyen. Possible. Mais à notre connaissance, ces études n’ont pas été menées en Tunisie où l’expérience a régulièrement démontré que l’individu ayant déjà fait de la prison devient plutôt récidiviste. Normal: dans une société laxiste, pourquoi se priver de commettre d’autres crimes?
Un dernier point, et pas des moindres. Toutes ces voix qui oeuvrent aujourd’hui pour la suppression de la peine de mort, le font… à froid. C’est-à-dire: tout en étant à l’abri; elles ne sont pas concernées directement par les tragédies que d’autres ont subies. C’est très facile d’être à son bureau, ou sur le canapé de son salon, et de philosopher –à distance!– sur la peine de mort. Nous avons un adage tunisien fantastique: «Ne sent la braise de feu que celui qui marche dessus».
Rappelons –pour que l’information soit complète– que la Coalition tunisienne contre la peine de mort, fondée le 14 juin 2007, est constituée de: Amnesty International – Tunisie, la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme, l’Institut arabe des droits de l’Homme, l’Association tunisienne des femmes démocrates, l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement, le Syndicat national des journalistes tunisiens, la Fédération tunisienne des clubs de cinéma, la Confédération générale tunisienne du travail, l’Association tunisienne des jeunes avocats, l’Association de conscience politique, l’Association tunisienne de réhabilitation des prisonniers et de suivi des prisons, l’Organisation tunisienne de lutte contre la torture, et le Conseil national de des libertés de Tunisie.
A tous les membres –un à un, une à une– de cette Coalition, cette simple question: et si l’enfant de six ans, sodomisé et tué à coups de pierre dans la pénombre d’un cimetière, était… VOTRE ENFANT?!