Imaginez une Tunisie où il y a des zones franches, de plateformes commerciales et logistiques, de grands centres commerciaux ou des malls (grands centres commerciaux) à l’américaine, des plateformes développées des produits végétaux et des marques de franchise internationales. Il est certain que la réalité serait autre. Alors, telle est la vision du ministère du Commerce et du Tourisme qui se pense sur le développement de l’activité commerciale en Tunisie en la faisant sortir de sa monotonie.
«Pensez grand, voyez grand!», a lancé Mehdi Houas, le ministre du Commerce et du Tourisme, lors d’une rencontre, organisée le 27 septembre 2011 au CEPEX. «Il faut faire cette mutation. Il faut être ambitieux. Nous avons une bonne carte à jouer pour –pourquoi pas– être le Singapour de l’Afrique. La révolution populaire doit être poursuivie par la révolution des industriels et des petites entreprises», ajoute-t-il.
Zones franches
Les grands axes de cette vision du ministère du Commerce et du Tourisme –actuel- a été exposée lors de cette rencontre qui réunissait des professionnels; laquelle vision s’appuie essentiellement sur l’ouverture sur le monde extérieur et sur le renfoncement de l’entreprenariat dans le secteur commercial. «La Tunisie s’est refermée sur elle-même. On avait peur de cette famille qu’on appelait «mafieuse». On n’entreprenait pas. On se limitait à des petites entreprises. Il faut casser cette chaîne», souligne M. Houas.
Cette vision voudrait, tout d’abord, développer des zones franches. La première d’entre elles devrait être mise en œuvre entre la Tunisie et la Libye, à Ben Guerdane. Avec les évolutions que connaît ce pays, les avantages d’une telle zone seront très importants.
Une zone franche avec l’Algérie serait également d’un grand bénéfice pour la Tunisie. «On peut recevoir en transit des produits manufacturiers exportés vers le nord ou vers le sud», explique le ministre.
Il s’agit aussi de développer de grands malls à l’américaine. Un axe qui est étudié en couplage avec le secteur touristique avec l’objectif de faire de la Tunisie un centre de shopping permanent.
Vu le positionnement géographique de la Tunisie –à deux heures de vol de l’Europe– la concrétisation d’une telle ambition est d’un grand intérêt mais requiert de gros investissements et une habilité commerciale capable d’attirer ce genre de clientèle. M. Houas avance même la création de show room des produits issus d’autres pays lointains, notamment des produits asiatiques. Au lieu de se déplacer à dix heures d’avion de la Chine, par exemple, les Européens auront accès à ces produits à seulement deux heures de vol.
Circuits de distribution
On vise également à mettre en place des plateformes de fruits et légumes. Sur ce plan, on souhaite développer les investissements privés de manière à rendre plus efficace le système d’approvisionnement du pays à longueur d’année. Les autorités publiques annoncent qu’elles sont prédisposées à prendre des mesures d’accompagnement nécessaires à la mise à niveau des circuits des produits frais, au rang desquels les viandes; ceci s’accompagnerait d’une libéralisation et d’une amélioration des marges de certains fruits et légumes.
Un autre axe que le ministère souhaite développer concerne la franchise. Cette activité, récemment réglementée, peut être un levier de modernisation du secteur du commerce et des services. Il s’agit de développer des réseaux, particulièrement dans certains services privés caractérisés par le faible niveau de qualité de prestation, à l’exemple de la réparation. Le ministère a recensé certaines demandes d’autorisation dans les secteurs fast-food, boissons chaudes, agences immobilières.
Secteur fermé
En fait, la contribution du secteur commercial dans l’économie n’est pas négligeable, d’autant plus qu’il s’agit d’un secteur qui a une forte liaison avec les services de soutien (transport, système bancaire, infrastructure, formation). Il pourvoit 11% (350 mille) des emplois, 11% du PIB. Il pourrait atteindre un taux de croissance de 5,5% dans les prochaines années. Sa contribution dans les exportations est de 30% du taux de croissance. Le commerce de gros réalise un chiffre d’affaires de 18.000 MDT alors que le commerce de détail est de 9.500 MDT.
Reste que c’est un secteur encore dominé par les petites entreprises commerciales. Sa croissance est basée sur l’initiative privée et l’effort d’autofinancement. Il n’est pas couvert par le code d’incitations aux investissements et le rôle de l’Etat reste limité aux offices.
Pour les grandes et moyennes surfaces, la Tunisie compte trois pôles, à savoir le groupe Mabrouk, le groupe Chaibi et le groupe Bayahi. Huit marques commerciales exercent dans cette activité avec 170 points de vente. Les magasins spécialisés ne sont pas nombreux. Elles sont quelques marques, un pour les produits sanitaires et d’autres dans le meuble et les chaussures.
Autorisations au compte-goutte
L’évolution de la part de marché de cette activité a augmenté lentement depuis 1990, soit 5% pour atteindre 15% en 2008 et 18% actuellement. Ceci est dû, selon le ministère du Commerce et du Tourisme, à des autorisations au compte-goutte faisant des grands complexes un privilège du Grand Tunis et Sousse. Et ce malgré l’existence d’un stock de nouvelles demandes sur les grandes villes (Tunis, Sfax, Sousse). En outre, l’étude du plan directeur des grandes et moyennes surfaces a démontré un besoin en hyper et super marchés estimé respectivement à 83.600 m2 et 212.400 m2.
Une grande possibilité de faire évoluer le secteur sans compromettre le petit commerce en s’orientant à mettre les sites potentiels en concurrence et tabler sur la volonté de voir s’installer des équipements commerciaux modernes (avec un potentiel d’emploi) dans les régions frontalières et les régions intérieures (Le Kef, Béja, Jendouba, Gabès, Ben Guerdane…).
Lacunes structurelles
Le secteur souffre également de lacunes structurelles. Au niveau de l’approvisionnement et des prix, on remarque une irrégularité de l’approvisionnement et une fluctuation de l’offre des produits frais, des prix des produits frais locaux et des produits industriels, et une absence de mécanismes adéquats pour le financement des stocks de régulation de produits de base. On affirme qu’il y a un déséquilibre entre les différentes composantes du secteur: informel et commerce organisé, grandes et moyennes, producteurs et petits commerces.
Il existe aussi des contraintes sur le développement de l’activité commerciale. Le ministère affirme que ce secteur ne bénéficie pas des avantages accordés aux secteurs de la production et des services. Ajoutons à cela la faiblesse des marges dans les secteurs encadrés et l’impact sur la rentabilité et les capacités d’autofinancement.
D’autres lacunes relèvent d’un manque de formation pour les petits métiers et commerçants, de mauvaises conditions de transport et d’exposition des produits frais ainsi que d’une faiblesse du système d’information statistique sur le développement du secteur et d’un manque de la culture concurrence et consommation chez les opérateurs et les consommateurs qui recherchent l’intervention de l’Etat dans un environnement désormais libre et concurrentiel.
Au niveau juridique, Me Sami Kallel a affirmé que les textes juridiques régissant le secteur pénalisent son développement. «Le moment est venu pour le toilettage», affirme-t-il en ajoutant qu’il faudrait assouplir les procédures pour permettre aux entreprises de venir en Tunisie.