Les disparités régionales mises à nu en faveur de la révolution ne choquent
plus, à proprement parler. Si nous avons été, certains d’entre nous, au cours
des huit mois qui se sont écoulés, ébahis, puis intimidés, nous sommes désormais
habitués. Ou presque. Aujourd’hui, certes il est nécessaire de faire un état des
lieux de ces disparités, mais il faut aller sur le terrain, pour les analyser et
puis proposer des solutions pratiques.
C’est un reproche qui a été fait au «Livre blanc» présenté, le 29 septembre
2011, par le ministère du
Développement régional, dans le cadre des assises du
développement régional, organisées dans le cadre du mois de l’emploi, qui prend
fin 30 septembre 2011. Un événement auquel ont pris part des représentants de la
société civile de toutes les régions du pays.
Des pistes de réflexion…
Selon Abderrazek Zouari, ministre du Développement régional, l’idée n’est pas de
faire une consultation ou d’un écrit. «Nous avons élaboré une version première
d’un document proposant des lignes directrices pour le développement régional.
Nous sommes ouverts à toute critique, à tout commentaire. Ceci nous permettra de
revoir le texte et d’élaborer la version finale», explique-t-il.
Ce document sera remis au prochain gouvernement. Mais certains y ont vu une
perte de temps et d’effort, à moins d’un mois des élections. L’esprit douteux
habite beaucoup de Tunisiens aujourd’hui. «Qui a fait ce Livre blanc? Quel est
sa légitimité? Il est le produit de la bureaucratie. Il faut se déplacer pour
voir la réalité sur le terrain. Et puis, il faut laisser le prochain
gouvernement décider!», lance un intervenant.
La stratégie proposée s’appuie sur trois axes. Le premier axe concerne la mise à
niveau des régions en retard par l’investissement dans l’infrastructure, la
santé, l’éducation, etc. Le deuxième vise à relier les zones en retard aux zones
avancées, à travers l’amélioration de l’efficacité économique (transport,
redécoupage régional, planification urbaine, etc.). Quant au troisième axe, il
concerne le renforcement de la compétitivité et l’attractivité des territoires
(ressources naturelles, environnement des affaires, incitation à
l’investissement, innovation).
L’état des lieux qu’a présenté Saloua Trabelsi, du ministère du Développement
régional, est alarmant, bien qu’il ne soit pas une surprise. Les disparités
socio-économiques démontrent bien les causes du ressentiment des Tunisiens des
«régions intérieures», un terme qui semble intimider tant certains y voient un
signe de bassesse.
Indicateurs…
Quelques indicateurs expliquent tout. Les taux les plus élevés d’abandon
scolaire se concentrent dans le nord-ouest et le centre-ouest: 4,0% à Kasserine,
3,5% à Kairouan, 2,6% à Sidi Bouzid, 2,5% à Siliana et 1,6% à Jendouba. Le taux
de pauvreté, sur lequel il y a un débat entre l’INS et le ministère des Affaires
sociales, atteint un maximum de 15,1% à Kairouan alors qu’il est de 0,4% à
Monastir. Le taux de chômage est de 28,3% à Gafsa et de 4,9% à Zaghouan. Le taux
de chômage des diplômés est de 47,3% à Gafsa également et de 10,9% à Ariana. Le
taux d’analphabétisme est de 33,9% à Jendouba et de 11,6% à Ben Arous.
D’autres indicateurs montrent aussi cette situation critique. L’espérance de vie
est moins élevée à Kébili et Tataouine qu’à Tunis, Sfax et Ariana. De même pour
le taux de mortalité infantile.
De point de vue économique, les zones industrielles se concentrent surtout sur
le littoral (80%) alors que le nord-ouest et le centre-ouest n’accaparent que 7%
et 10% respectivement.
Décalage…
Avec ces chiffres et indicateurs, il est clair que la politique du développement
régional de l’ancien régime, si elle existait, fut un échec. Un échec dû à des
défaillances au niveau de la gouvernance, nous dit Fethi Ennaïfer, expert en
gestion et planification du territoire.
Il s’agit essentiellement d’un décalage entre les stratégies et les
interventions publiques, d’un échec de la mise en œuvre du schéma national qui
datait déjà de 1985, visant l’équilibre régional et l’instauration de pôles
urbains…
Il y a aussi les contraintes institutionnelles qui ne permettaient pas de
coordonner les stratégies sectorielles. M. Ennaïfer pointe du doigt
particulièrement les agences foncières qui ont accéléré, selon lui, le
déséquilibre régional. «La Tunisie est le seul pays au monde à avoir des agences
foncières publiques et où chaque ministère fait sa politique d’aménagement
territorial comme il l’entend. Il faut supprimer ces agences, sinon on risque
bien de faire échouer la politique d’aménagement du territoire», estime-t-il.
Volonté politique…
Un déficit de gouvernance, donc, dû à l’absence d’une volonté politique, a
engendré cette que vivent plusieurs régions en Tunisie. «Il n’y a pas de
développement régional sans une volonté politique», lance un intervenant, en
ajoutant que les régions intérieures doivent participer dans les décisions
politiques.
Pour un autre intervenant, il s’agit de réviser le cadre juridique et
institutionnel des comités régionaux et locaux et booster l’investissement
local. «Dans les régions intérieures, la croissance démographique est négative.
Il faut inciter les gens à rester et à investir localement. Mais ceci ne peut se
faire sans une amélioration de l’infrastructure. On ne veut pas de holding qui
investissent et quittent après avoir bénéficié d’incitations fiscales de
l’Etat», signale-t-il.
Les zones rurales sont aussi un exemple vivant de la mauvaise gouvernance.
Dépourvues de presque tout, elles ont souffert de cette politique
gouvernementale. Un aspect qu’une intervenante estime qu’il doit être pris en
considération avec toutes les spécificités de ces zones. «Un diagnostic au
niveau local est très important à faire. Il ne suffit pas de parler de
généralités mais de suivre une approche de terrain. Pour réussir la bonne
gouvernance, il faut d’abord réussir la bonne gouvernance régionale».