Quand, profitant de la paupérisation ambiante dans le pays, certains font de la misère sociale un fonds de commerce pour le maillage partisan. Quand des hommes d’affaires se lancent dans l’Agora, prenant le risque d’amalgamer les forces du marché avec l’âme versatile de la plèbe. Quand les antichambres du pouvoir tournent à plein gaz. Quand l’argent coule à flots dans un contexte électoral tendu où tout le monde épie, se défie, guette, contrôle et interpelle. Quand tout cela se produit à un mois de la Constituante. Le pire est à craindre.
Le pire? Certainement pas une nouvelle révolte. Encore moins une révolution contre ce que tout cela esquisse et augure d’un système, fondé, apparemment sur les ententes et le copinage. Car les Tunisiens, gorgés de promesses, de harangues et de grands mots, ont d’autres chats à fouetter. Pour le moment. Avec les impératifs de la rentrée scolaire. La détérioration du pouvoir d’achat. La misère, qui creuse ses gouffres et n’épargne personne.
Ce qui menace, en revanche, à la veille des élections de la Constituante, prévue le 23 octobre 2011, est un mélange redoutable de désabusement, d’indifférence, d’écœurement et de défiance civiques. Face à ce jeu de l’oie vers le pouvoir.
Pour mesurer cette défiance généralisée, il suffit de rappeler que 50% des électeurs tunisiens ne savent pas encore à quel saint se vouer le 23 octobre prochain. Comment imaginer, dans ces conditions, que le combat politique n’apparaisse pas aux yeux du plus grand nombre comme un théâtre d’ombres ou un jeu de dupes. Sur l’avant-scène, des tirades ronflantes sur «la République de la transparence», des engagements irrévocables de «vertu» budgétaires, de solennels appels à la responsabilité. Dans la coulisse, une empoignade sans merci où la fin justifie tous les moyens. Dès lors que sont en jeu le pouvoir et l’argent.
Dans cette ambiance délétère où les accusations, les quolibets et les libelles sont à l’œuvre, la responsabilité des partis politiques et du tissu associatif, marqués au fer rouge durant les années de braise, est décisive. Pour réenchanter la politique. Réconcilier les Tunisiens avec l’action publique. Redonner sens à la politique. S’appuyer sur les réalités. Se donner des repères. Retrouver le rapport au temps. Travailler l’espérance. Retisser le contrat social. Offrir un projet aux citoyens. Encourager l’humilité. Dépasser la dictature du court terme. Remettre de la chronologie dans une société marquée par le présentisme. Car, les slogans et les objectifs de la révolution n’auraient guère de sens ni d’avenir, s’ils ne reposaient pas sur une alternative. Sur le désir d’une rupture. Sur l’ambition et la capacité de réinventer un avenir.