««Il n’y a que l’UPL qui a pu rassembler autant de monde à la Coupole, bien sûr si nous omettons Ennahdha», a déclaré le gardien du parking du Palais des sports, vendredi 30 septembre, à une amie journaliste, alors que Slim Riahi, président de l’UPL y tenait son congrès».
Ce gardien a, en toute bonne foi, donné du crédit à ce qu’avait déclaré un analyste politique, il y a près de 3 mois en avançant que l’UPL pouvait constituer un rival sérieux pour Ennahdha. A l’époque, cela paraissait irréel, mais à observer ce qui se passe sur le terrain et la confusion dans laquelle se débattent anciens ou nouveaux partis, nous avons bien l’impression que le Parti «Tawa» progresse rapidement et «Tawa».
A l’américaine! C’est le descriptif apporté par nombre de personnes présentes et de téléspectateurs à propos du show organisé vendredi 30 septembre, à l’occasion du premier congrès de l’Union patriote libre. Le rouge drapeau du parti se noyait dans celui du drapeau tunisien, des jeunes dont l’âge varie entre 12 et 18 ans portaient des pulls aux couleurs de l’UPL et remplissaient les gradins du Palais par leurs cris et leurs applaudissements.
Manipulés, ces jeunes? Convaincus ou appâtés par les cadeaux et l’argent? Curieux ou férus de spectacle? Pas moins de 80 bus se sont déplacés des régions pour participer au Congrès. L’événement a créé un buzz sur les réseaux sociaux. Un Facebooker commentait: «Toute cette mise en scène à l’américaine en misant sur l’ignorance politique… et les gens malheureusement sont attirés par ce genre de rabatteur bling bling! La révolution ne s’achète pas… pour vendre son âme au néo RCD!». Slim Riahi, néo-Destour? Ou serait-ce celui qui a ouvert sa porte à toutes les brebis galeuses des autres partis? Tout comme d’autres l’ont fait d’ailleurs dans leur recherche désespérée de voix et de militants pour consolider leurs bases…
Les jeunes Tunisiens éveillés, récemment au jeu politique n’hésitent pas à critiquer et des fois à approuver. Un blogueur interpella le président de l’UPL en écrivant : «Slim ya ‘’Maallem’’, vous donnez des complexes aux autres, laissez-leur dire ce qu’ils veulent, le peuple tunisien trouvera toujours à redire. Au moins, vous, vous êtes riche, ça m’étonne que vous nous voliez» (ya maakadhom khali ykoulou wach ihem chaab tounsi kan tjibelhom dra chkoun dima ynaberou fe beli makal lhad ija bessif ema tmaa larbi fin ywasel au moins andou flous madhaherli kan bech yisrak barcha andou mennou bzayed).
L’UPL, l’adversaire le plus sérieux d’Ennahdha?
Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui se montrent prêts à adhérer à l’UPL à condition qu’il fasse le poids avec «Ennahdha» tout en exprimant leur approbation à son programme économique qu’ils trouvent plus réaliste que d’autres.
Qui aurait imaginé, il a tout juste 3 mois, que l’UPL pouvait être un sérieux adversaire pour Ennahdha? Qui se serait douté qu’un parfait inconnu pouvait occuper le terrain politique à coups de compagnes de communication coûteuses et un travail de terrain ardu touchant les coins les plus reculés du pays.
Ennahdha et l’UPL tirent leur force et légitimité en premier lieu de la religion et de l’argent mais aussi du vide politique créé par l’ancien régime et de la faiblesse des partis traditionnels qui ne réussissent pas à séduire suffisamment d’électeurs pour avoir leur adhésion et leur confiance. Ennahdha, qui dispose de moyens financiers très importants mis au service de ses actions sociales n’hésite pas à utiliser l’islam et ses préceptes pour se montrer convaincante. Son point fort est la prédisposition de certaines couches sociales conservatrices à adhérer à n’importe quelle thèse à condition qu’elle soit inspirée de la religion et les sentiments religieux des Tunisiens modérés mais profondément attachés à leur appartenance arabo-musulmane: «Ce qui vient d’Allah ne peut être mauvais».
Rached Ghannouchi, père d’Ennahdha, a déclaré à maintes reprises: «Notre programme vise à mettre en place un modèle de développement national ayant comme point de repère les valeurs islamiques… La Tunisie d’aujourd’hui et de demain doit s’appuyer sur son identité arabo-musulmane». Il cite à l’occasion le modèle turc comme exemple d’une démocratie musulmane modérée. Il oublie que la Turquie est un pays laïc depuis plus d’un siècle et que dans sa Constitution aucune appartenance religieuse n’est citée. D’ailleurs, l’article 2 de la Constitution Turque actuellement en vigueur précise, que «la Turquie est un État de droit démocratique, laïc et social», ce qui n’est pas et ne sera pas le cas en Tunisie. Car le fait même de parler de laïcité dresse les cheveux sur nombre de têtes…
D’un autre côté, être libre de penser, de s’exprimer, d’entreprendre, autant de valeurs que prône l’ULP par la bouche de son président ainsi qu’un programme économique qui annonce tout de suite la couleur. Des investissements de taille dans les régions défavorisées suivant leur profil et leurs besoins. Un programme ambitieux de réformes de la police et de l’armée et un repositionnement de la Tunisie à l’international à condition que cela ne s’arrête pas aux discours…
L’argent, nerf de la guerre…
La jeunesse de Slim Riahi, aussi inexpérimentée fût-il, conjuguée aux moyens financiers énormes dont il dispose et son recours décomplexé aux experts en économie, en communication et en politique représentent des atouts considérables.
Même si les Tunisiens ont du mal à admettre qu’un parti aussi jeune puisse s’imposer aussi rapidement. La légitimité d’un parti ayant toujours été considérée comme étant le fruit d’un travail de longue haleine sur terrain, sur les médias et avec les autres forces politiques. L’UPL respire l’argent et c’est grâce à ses moyens financiers importants qu’il a pu ouvrir 150 bureaux sur tout le territoire national, 30 parmi les 32 listes qu’il a soumises à l’ISIE ont été acceptées.
Slim Riahi est jeune et ambitieux. A 39 ans, il a beaucoup à apprendre mais à l’entendre parler, on comprend tout de suite que dans sa tête, le chemin est tout tracé, il sait où il va et comment et il a le temps. Sans complexes ou fausse modestie, il n’hésite pas à tancer des partis politiques vétérans comme Ennahdha leur rappelant «que la Tunisie ne sera pas un territoire de plus dans l’empire ottoman et que notre pays a édifié par lui-même son histoire de même qu’il construira son avenir».
Le large podium sous un écran géant monté au Palais des Sports relève de la démonstration de force. Slim Riahi a affirmé dans son discours ses valeurs modernistes inspirées de l’esprit bourguibien et des penseurs anciens et contemporains de la Tunisie. Pour «dénoncer» ses adversaires politiques, il n’hésite pas à emprunter au célèbre Mahmoud Darwish l’expression «Sakata Al Kinaa», les masques sont tombés.
La démocratie est le régime politique qui établit comme priorité absolue la recherche de l’intérêt commun, qui doit être fixé par le peuple qui élit ses représentants. Pour préserver les acquis du peuple, il faut qu’il y ait un État et des institutions fortes. Pour préserver les institutions, il faut des convictions solides, une communication efficiente, de la morale et surtout -c’est malheureux mais à reconnaître…- de l’argent.
Nous avons vu ce qu’a fait l’UPL en quelques mois. De la communication et du show, c’est comme cela que les compagnes électorales se font au 21ème siècle. Avec des idées et sans argent, on n’a aucune assurance de gagner les élections. Pour vous élire, il faut vous faire connaître et dans cette situation, l’argent est le nerf de la guerre car il rend aisée toute notoriété. La démocratie, c’est aussi une question d’argent et ce depuis le 18ème siècle. C’est ce que Slim Riahi, en véritable entrepreneur, a compris. La société civile, les nouveaux citoyens tunisiens doivent être vigilants et veiller à ce que les ambitions du président de l’UPL ou des autres partis ne se réalisent pas aux dépends des intérêts du peuple et qu’ils tiendront leurs promesses de mettre en place des stratégies pour un développement plus équitable et de meilleures performances pour la Tunisie de demain.
Quant à la religion, elle peut être un facteur de paix, mais aussi, elle peut constituer un danger sur la paix lorsqu’elle est instrumentalisée, car elle parle aux émotions et suscite les passions, d’où l’absence de toute rationalité et pragmatisme chez certains esprits soucieux de mériter leurs «places au paradis».
L’argent et la religion sont des instruments à double tranchant: autant, ils peuvent être utiles, autant ils peuvent être dangereux s’il n’y a pas d’institutions et de garde-fous assez forts pour limiter leur pouvoir et leur ascendant.