Steve Jobs a su instaurer une “connivence” avec la machine

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à San Francisco (Photo : Justin Sullivan)

[06/10/2011 17:21:00] PARIS (AFP) La singularité de Steve Jobs, fondateur d’Apple, est d’avoir sorti l’informatique du purement fonctionnel “martial, dur, anguleux” pour instaurer une relation de “connivence” entre l’utilisateur et la machine, estime le sociologue Stéphane Hugon (Sorbonne-Paris V).

Q: Avant Steve Jobs, qu’est-ce qui caractérisait l’informatique?

R: “La place du design était considérée par tous les grands industriels comme superfétatoire. Notre imaginaire occidental et judéo-chrétien considère que la valeur est cachée: les choses légères, associées au plaisir, sont suspectes. Un bon outil doit être ésotérique: dans une voiture, jusqu’à il y a peu, un tableau de bord devait ressembler à celui d’un Concorde. La technologie, c’est du sérieux, ça s’adresse aux adultes, et s’il y a du design, c’est de l’ergonomie: c’est ce qui a alimenté l’esprit d’IBM et de Microsoft.

Quand on achetait un objet technologique, il fallait que ce soit un peu martial, dur, anguleux. On a vécu avec l’idée que celui qui manipule un ordinateur, comme tous les objets techniques, est dépositaire d’un savoir et d’un pouvoir”.

Q: Et c’est Steve Jobs qui a bouleversé tout ça?

R: “Il a laissé la place au design et au relationnel. D’un seul coup, il y a une relation de plaisir et de connivence entre l’utilisateur et la machine. C’est l’esthétique qui rentre sur un marché qui ne lui laissait pas de place.

Les objets techniques deviennent des objets magiques. On n’est plus du tout dans le même imaginaire, on a des objets un peu +talisman+. C’est presque de l’animisme. Quand on ferme un Macbook, il y a une petite lumière qui clignote comme une respiration, cela veut dire que les objets ont une âme. Cela s’adresse à une société qui n’est plus seulement fonctionnelle, mais réanchantée par rapport à la technologie, presque charnelle. C’est intéressant de voir que l’iPhone est le premier objet technique sur lequel il n’y a plus de prise, plus de bouton, c’est l’objet absolu, sensuel”.

Q: La force d’Apple, c’est finalement d’avoir rendu l’informatique plus simple et plus ludique?

R: “Steve Jobs a changé l’imaginaire: il a réussi à montrer que la technique ce n’est pas l’adulte ultra rationnel et que, sans minimiser leur efficacité, les objets sont magiques. D’une certaine manière, c’est la disparition de la technologie, puisque d’un simple geste, comme tourner une page ou faire défiler des photos sur un iPad, permet de produire ce qu’on a envie de faire ou de créer sans passer par les contingences des interfaces et du code. On n’a plus besoin d’apprendre un langage. L’objet se passe de mode d’emploi, on gagne du temps et l’appropriation est immédiate”.

(Propos recueillis par Grégoire Lemarchand)