La télévision n’est-elle pas responsable des divisions que l’on voit ici et là? Les récentes «affaires» de Nessma Tv et de Cactus Production prouvent, sans doute, que la télévision est un lieu privilégié pour jeter de l’huile sur le feu du paysage politique.
On prête à l’ancien ministre français de l’Information, sous la présidence du Général De Gaulles, Alain Peyrefitte (1925-1999), cette phrase connue de tous ceux qui ont touché au monde de la télévision et même au-delà de ce cercle restreint: «La télévision, c’est le gouvernement dans la salle à manger de chaque Français».
Une phrase qui en dit long sur le pouvoir de ce média «qui n’est pas au centre du pouvoir, mais est le pouvoir», en somme «un premier pouvoir» (dixit Denis Pingaud et Bernard Poulet, dans «Du pouvoir des médias à l’éclatement de la scène publique», la revue Le Débat, n°138, janvier-février 2006).
Deux «affaires», ayant éclaté au cours de la première moitié de ce mois d’octobre 2011, à quelques jours d’une élection importante, celle des membres de la Constituante du 23 octobre 2011, illustrent bien ces propos. Tant la politique y est bien présente avec ses enjeux, ses acteurs et leurs intérêts. Avec ses déchirements et ses divisions dans les rangs de l’opinion ainsi que dans celui du monde de la politique.
Une question de timing
Première «affaire»: celle de la diffusion, vendredi 7 octobre 2011, d’un film franco-iranien, «Persepolis», jugée par certains comme une propagande anti-islamiste, et comportant une scène où Dieu est représenté; ce que proscrit l’Islam.
Une diffusion qui n’a pas fini de susciter des interrogations sur les intentions de la chaîne qui a diffusé le film: Nessma Tv. Le directeur général de cette chaîne, Nabil Karoui, n’a pas manqué de le relever, en le réfutant du reste, dans son mea culpa, qui a suivi la diffusion du film. Voulait-on nuire à un parti politique qui, assure-t-on, a le vent en poupe, en l’occurrence Ennahdha?
Autre interrogation: pourquoi avoir diffusé ce film en cette période de campagne électorale? Le timing n’a pas manqué de faire l’objet de «suspicions».
S’agit-il d’une simple erreur au niveau du visionnage? Le directeur général de Nessma Tv, Nabil Karoui, dont nous pouvons du reste mettre les propos en doute, a affirmé que le «visionneur» n’a pas mentionné la scène objet du problème survenu dans son rapport.
La chaîne, qui s’est du reste excusée, n’a-t-elle pas sous-estimé au départ l’affaire? Certains ne sont pas loin de le penser.
Le problème n’est sans doute pas là. Voilà que la télévision provoque une division de l’opinion publique et des acteurs politiques dans le pays. Il y a en effet ceux qui condamnent avec la plus grande fermeté le comportement de la chaîne. Voilà aussi que d’autres défendent la liberté d’information et le droit du créateur à s’exprimer librement. Tout semble nous mener vers une polémique vieille comme le monde.
Régler le problème «à l’amiable»
Voilà surtout que la télévision sème la zizanie dans une période où tout le monde se doit de calmer ses nerfs et de s’interdire tout ce qui peut semer le trouble. Un trouble qui s’est exprimé par de la violence: des salafistes, nous le savons, ont tenté de casser les locaux de Nessma Tv, le matin du dimanche 9 octobre 2011.
Restons sur le même terrain pour dire quelle mouche a piqué les services du Contentieux de l’Etat pour tenir en haleine l’opinion dans l’«affaire» dite de Cactus Production, société de production audiovisuelle que dirige Sami El Fehri.
Ne pouvait-on pas régler le problème «à l’amiable» comme l’a suggéré Sami El Fehri, mardi 11 octobre 2011, sur les ondes de Shems Fm, après que la justice a débouté les services du Contentieux de l’Etat?
Etait-il du ressort, en outre, des services du Contentieux de l’Etat de se saisir du dossier et d’instruire une affaire en justice? N’existe-t-il pas une instance (l’Instance Supérieure Indépendante des Elections) chargée de mettre de l’ordre dans pareil cas?
Loin de nous de mettre en cause la sincérité des services du Contentieux de l’Etat. Mais n’ont-ils pas réagi trop vite? Ont-ils bien réfléchi à l’interprétation qui pouvait découler de leur acte?
Le contexte s’y prête
Certains milieux n’en veulent-ils pas à Cactus Production et à Sami El Fehri? Tout observateur ne peut échapper à ce type d’analyse. Une chaîne publique (Al Watanya 1) et une chaîne privée (Nessma Tv) n’ont-elles pas par le passé tenté, aux yeux de certains, de porter atteinte à Cactus Production?
Cactus -nous ne la défendons pas- n’a pas manqué de faire pareille. Les protagonistes se sont battus, devant les téléspectateurs, sur leurs ondes respectives à coup de magazines télés, de contre-magazines télés, d’émissions de débat et de guignols (marionnettes).
A-t-on voulu casser, donc, du Sami El Fehri, qui était associé dans Cactus Production au malfrat Belhassan Trabelsi, qui a imposé sa loi pendant de longues années, dans l’audiovisuel public, afin de barrer la route à un concurrent qui savait faire de la bonne télévision?
Certains dans l’opinion ne sont peut-être pas très loin de le penser. On ne peut que le deviner en lisant entre les lignes des quelques commentaires laissés sur le réseau social Facebook, lorsque l’«affaire» Cactus Production a éclaté, vendredi 7 octobre 2011.
Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons empêcher les femmes et hommes de ce pays de croire, ne serait-ce qu’au premier degré, à de semblables scénarii en analysant les faits qu’ils observent et en établissant des conclusions –même si elles peuvent paraître hâtives. L’acte de gouverner ne consiste-t-il pas, pour reprendre la formule de Machiavel, à faire croire?
D’autant plus que le contexte s’y prête. Le Tunisien qui a perdu en partie confiance estime peut-être, à ce niveau, que le jeu politique est aujourd’hui ouvert et que le chaos est installé dans des pans entiers de la société. Les plus malins n’arrivent toujours pas à démêler le bon grain de l’ivraie. Ne nous dit-on pas, par ailleurs, que souvent personne ne sait avec exactitude qui fait quoi et qui contrôle quoi!