Les commerçants d’artisanat de la médina de Tunis entendent observer lundi 17
octobre 2011 une journée de grève. Pour protester contre «les pratiques de
monopole adoptées par certaines agences de voyage qui orientent sélectivement
les groupes de touristes, seulement vers certains commerces». Il est en effet
temps que ces pratiques cessent, disent-ils, pour le bien de tous.
Reportage dans la médina de Tunis.
Sauf accord de dernière minute entre la Chambre régionale du syndicat des
commerçants de l’artisanat de Tunis et le ministère du Commerce et du Tourisme,
les commerçants de l’artisanat de la médina de Tunis vont observer lundi 17
octobre 2011 une journée de grève. Ces commerçants devront, à cette occasion,
fermer leur boutique, être présents sur les lieux pour exprimer leur
mécontentement et placarder des affiches et des tracts devant leurs commerces
pour annoncer leur grève et exprimer leur mécontentement.
Les raisons de ce courroux ont été largement évoquées depuis maintenant une
dizaine de jours dans les colonnes de la presse tunisienne: «les pratiques de
monopole adoptées par certaines agences de voyage qui orientent sélectivement
les groupes de touristes, seulement vers certains commerces».
«Une situation qui ne peut plus durer», assure, costume gris, la quarantaine
dynamique, Borhène Ben Ghorbal, président de la Chambre régionale du syndicat
des commerçants de l’artisanat de Tunis, qui tient boutique à la rue de la
Mosquée Ezzitouna dans la médina de Tunis.
5 à 6 magasins «accapareraient» la manne des croisières!
Le mal est en effet endémique. Des agences de voyage imposent leur loi en
rendant la vie dure pour la quasi-totalité des commerçants d’artisanat de la
médina de Tunis.
De quoi s’agit-il? Tous les commerçants de la rue de la Mosquée Ezzitouna vous
le diront: quelques magasins d’artisanat –on parle de 5 ou 6- «accaparent» le
commerce d’artisanat à destination des groupes qui viennent en croisières dans
le
port de La Goulette.
Ces derniers sont amenés par cars entiers dans ces magasins, lors du séjour
qu’ils effectuent à Tunis, qui se limite, en général à une journée, et qui
comprend quelques moments forts: les visites de Carthage-Sidi Bou Saïd, du Musée
du Bardo et de la médina de Tunis.
Il ne s’agirait pas d’une mince affaire: les souks de l’artisanat de Tunis
accueillent entre 10.000 et 15.000 personnes chaque semaine pendant huit mois.
Le compte est vite fait: les souks peuvent accueillir jusqu’à … 480.000
touristes de croisières par an.
«Le manque à gagner pour les commerçants de la médina qui ne sont pas «affiliés»
au système mis en place pour accueillir ses touristes est énorme», commente
Brahim, jean et chemise blanche à manches longues, est employé depuis pas moins
de vingt ans dans une petite boutique d’artisanat à l’entrée du souk, du côté de
la Porte de France.
Un «système» bien huilé
Car, il s’agit là d’un véritable «système» huilé dont tous ceux qui ont attache
avec les commerces d’artisanat de la médina de Tunis connaissent que trop bien.
L’accueil des cars des touristes fait l’objet d’un «marchandage» de la part des
agences de voyage qui organisent la croisière sur le sol tunisien; donc qui
prennent en charge les prestations au sol: les visites et les repas.
Les agences de voyage rentrent, d’abord, en concurrence pour avoir la main sur
le maximum de touristes. Vrai ou faux, on affirme que des agences de voyage sont
arrivées «à négocier la prestation par touriste jusqu’à 5 euros (presque le
double en dinars)». Ce qui constitue un prix des plus dérisoires. «Mais s’ils
arrivent à le faire, c’est parce qu’ils pensent à ce qu’ils vont gagner dans
l’excursion du souk», souligne Brahim.
S’en suit, ensuite, l’entrée en scène de quelques commerçants qui vont
s’entendre avec les agences pour accueillir les
touristes.
Tous les commerçants d’artisanat du souk vous répéteront: «le manège» des
agences de voyage, des guides de touristes qu’ils emploient et des quelques
commerces, situés pour l’essentiel en haut du souk, côté de La Kasbah et de Bab
Menara, pour «gagner de l’argent sur le dos des touristes de croisières».
L’entrée des touristes de croisières se fait, du reste, toujours à partir de la
place de La Kasbah et de la place de Bab Menara. «Jamais du côté de l’Avenue
Bourguiba», souligne Brahim.
Le car des touristes est «accordé» aux agences, avant même qu’une transaction ne
soit établie, «entre 150 et 300 dinars tunisiens». Et l’agence perçoit jusqu’Ã
«30% de commissions sur tout article vendu dans les magasins d’artisanat et il
arrive aux guides de percevoir jusqu’à 15% de commissions».
Il va sans dire que ces commerces «négocient les articles au plus fort» et
qu’«il leur arrive d’induire le client en erreur en lui vendant une qualité bien
inférieure à celle annoncée», fait remarquer Brahim.
Une idée fausse du patrimoine
«Et cela se produit pratiquement au vu et au su de tout le monde», commente
Borhène Ben Ghorbal, président de la Chambre régionale du syndicat des
commerçants de l’artisanat de Tunis.
M. Ben Ghorbal nous confie, par ailleurs, qu’il arrive, à cause de ces
pratiques, que l’on «induise en erreur les touristes en leur offrant une idée
fausse du patrimoine tunisien. Certains guides présentent, ainsi, la Mosquée
d’El Ksar, située du côté de Bab Menara, comme la Mosquée Ezzitouna».
Comme il arrive à certains guides de faire traverser les touristes des «ruelles
non sécurisées» afin d’atteindre et «à l’abri des regards» directement les
magasins avec lesquels leur agence à passé un contrat.
Le président de la Chambre régionale du syndicat des commerçants de l’artisanat
de Tunis s’arrête, toutefois, très vite, à ce niveau, pour dire que tous les
guides ne se prêtent pas au jeu des agences.
Loin s’en faut! «De nombreux guides sont solidaires des commerçants d’artisanat
de la médina. Ils veulent faire leur métier en toute honnêteté et ont payé cher
cette attitude».
Pour Borhène Ben Ghorbal, il est donc temps de faire jouer la concurrence. Car
«tout le monde a intérêt à le faire: le commerçant, le touriste, l’image du
tourisme tunisien et le capital-confiance de notre pays».
La Chambre, qui était dominée par des Rcédistes, sympathisants de l’ancien
régime de Ben Ali, a laissé faire durant de nombreuses années. Les nouveaux
membres du staff de la Chambre qu’il préside veulent assumer entièrement leurs
responsabilités dans un nouveau contexte, celui d’un Etat démocratique et de
droit.
De toute manière, fait-il remarquer, «cette grève a été décidée par la majorité
des commerçants d’artisanat de Tunis que nous avons consultés (près de 81% des
sondés)». «Et ce après avoir alerté plus d’un, insiste-il, et entrepris des
démarches dont l’organisation de réunions avec les parties en présence».
Dans la rue de la Mosquée Ezzitouna, les commerçants sont solidaires de ce
mouvement de protestation qu’ils entendent mener dans le calme et la sérénité.
Mais est-ce suffisant? Certains affirment qu’il s’agit là d’une étape cruciale.
Et qu’il n’est pas impossible d’«aller un autre jour plus loin». Mais,
assurent-ils, «toujours dans le calme. Et toujours dans le respect de la loi;
jamais dans la violence».