OPINION Tunisie – Médias : Campagne contre Nessma TV… Ce combat est inutile!


manifestation-15102011.jpgIl n’appartient à personne d’imposer aux Tunisiens un modèle de société
confectionné à sa mesure et selon son goût! Surtout que tous ces modèles
proposés sont importés d’ailleurs et ne répondent point à la culture du pays!

Comme vous le savez donc, des manifestations ont eu lieu vendredi 14 octobre
dans certaines régions du pays, et principalement devant le ministère de
l’Intérieur, alors que le domicile du directeur de la chaîne Nessma TV a été
saccagé et vandalisé, le tout faisant écho à la manifestation organisée dimanche
9 octobre par des
Salafistes devant les locaux de ladite chaîne en raison de la
diffusion par cette dernière du film franco-iranien ‘‘Persepolis’’.

Que faut-il en déduire? Qui blâmer? Qui a tort et qui a raison? Mais surtout,
est-ce logique et évident tout ce qui s’est passé? … Ainsi posées, ces questions
ne sauraient être tranchées de manière rationnelle, car la Vérité absolue
n’existe pas. Tout, en fin de compte, n’est que relatif et subjectif. Ce qui
paraît être LA vérité à vos yeux, ne pourrait l’être forcément aux miens. Mais
maintenant que l’actualité nous impose, en quelque sorte, de réfléchir sur la
question centrale, il faudrait, à notre avis, appréhender les choses –toujours!–
dans leur carré géopolitique, social et culturel.

Ce carré que beaucoup ont tendance à oublier, c’est la Tunisie. Disons-le tout
de suite et sans ambages: la Tunisie n’appartient pas en exclusivité aux
Nahdhaouis, ni aux
Salafistes en exclusivité, ni aux artistes en exclusivité, ni
aux intellectuels en exclusivité, ni aux nouveaux champions de la modernité et
de la laïcité en exclusivité. La Tunisie appartient à ses onze millions
d’habitants. Nous sommes tous des Tunisiens et la Tunisie est à nous tous. Tous!
Il n’y a pas un seul Tunisien qui ait le droit –ou puisse céder à la prétention
et la tentation– de changer le ‘‘fond et la forme’’ du pays. Que plus personne,
donc, ne nous dicte sa volonté, ses idées, ses désirs, ses goûts, ses principes
et sa propre vision des choses!

Rappelons aussi (il paraît que c’est nécessaire de le rappeler tout le temps,
puisque beaucoup l’oublient… tout le temps) que, de 670, date de la 3ème
expédition arabe sur la Tunisie menée par un certain Oqba Ibn Néfiê, à ce jour,
la Tunisie est un pays musulman. Quiconque s’imagine être capable de fouler sous
ses pieds 14 siècles d’Histoire arabe et islamique, se crève l’œil tout seul –et
mérite amplement tout ce qui en résulte. D’aucun droit on ne peut brocarder et
profaner la religion des autres impunément. C’est contre nature. C’est contre
l’humanité. C’est indécent. Et, surtout, cela n’a rien à voir avec ‘‘le
progrès’’, ‘‘la modernité’’, ‘‘la liberté’’ et toute velléité de –soi-disant–
révolutionner les esprits. C’est tout simplement impoli et inadmissible.

Petite parenthèse: ce qui vient de se passer chez nous n’est pas un cas propre
aux pays musulmans; la sortie, en 2004, de ‘‘La passion du Christ’’ de Mel
Gibson a aussi soulevé un tollé partout en Occident. Seule différence: l’Eglise
chrétienne n’a pas jugé utile d’intervenir dans toutes les polémiques qui s’en
sont suivies. Ni il n’y a eu de violence. Nous y reviendrons plus bas.

La question centrale est évidemment: la religion. En face, une question non
moins importante: la liberté. C’est au nom de cette liberté que, dans un premier
temps, le religieux s’est attaqué au culturel, puis est arrivé le tour du
culturel de s’attaquer au religieux. Ce combat, s’il doit continuer à occuper le
devant de la scène publique, est parfaitement inutile. Il n’appartient à
personne d’imposer aux Tunisiens un modèle de société confectionné à sa mesure
et selon son goût! Surtout que tous ces modèles proposés sont importés
d’ailleurs et ne répondent point à la culture du pays.

Le hijeb et la burqa, tout comme la barbe, sont des produits d’importation,
probablement d’origine saoudite, afghane ou iranienne. D’ailleurs, la
manifestation organisée il y a une dizaine de jours devant le Centre sportif
d’El Menzah VI par plus de deux cents femmes en «malya» et «sefsari» était
tombée à point nommé pour rappeler à la femme tunisienne que s’il y a lieu de se
conformer à quelque habit identitaire et culturel, ce serait plutôt cet
habit-là, non le hijeb et la burqa qui ne puisent leur origine nulle part en
Tunisie. Mais s’ils ont fait leur apparition dans notre pays, c’est tout
simplement parce qu’ils renferment et véhiculent tout un esprit –calqué sur
l’Autre– tendant à imposer une forme d’islam obscurantiste et rétrograde.

De la même manière, l’irrespect –voire la profanation– de la religion musulmane,
devenu manifeste dans certains kitsch cinématographiques tunisiens, renferme
tout un esprit provocateur et belliqueux tendant à imposer à la société
tunisienne un modèle bâtard, sans le moindre repère ou référentiel aucun. Il
n’est même pas importé puisque l’Occident respecte ses religions. C’est tout
simplement une tentative ‘‘auto-humiliante’’ et sotte de dire à l’Occident et à
l’Europe qu’on est devenu plus occidentalisé et plus européanisé qu’eux. A trop
vouloir plaire aux Autres, on a marché sur le sacré des Tunisiens.

C’est un combat inutile duquel personne ne sortira grandi; tout au plus, on s’en
sortira avec des dégâts matériels –et bientôt humains!

En moins de trois mois, donc, deux incidents graves à Tunis, et tous deux liés à
la religion. Le premier a eu lieu suite au film de Nadia Fani, ‘‘Ni Allah ni
maître’’, le second a été nourri par ce ‘‘Persepolis’’ tout bête tout stupide.
Dans une vidéo retransmise en son temps par la toile Facebook, on voit Nadia
Fani s’écrier: «Je suis athée, je ne crois pas en Dieu, c’est ma liberté et
personne n’a le droit de s’immiscer dans ma liberté!». Effectivement, tout
individu est libre d’être ce qu’il veut être. Néanmoins, l’erreur monumentale
serait de tenter de faire étalage, en public, de ses convictions intimes. Celui
qui propose une œuvre au public (à supposer que ce soit vraiment une œuvre digne
de ce nom…) cesse d’en être le maître. L’œuvre devient publique, et à ce titre
elle s’expose –si c’est le cas– à tous les risques possibles. (Mais c’est la
salle AfricArt qui a payé les pots cassés, tout comme le domicile du directeur
de
Nessma TV).

Comme vous l’avez constaté, depuis plusieurs mois le thème qui revient tout le
temps sur la table des discussions est la laïcité. Laquelle stipule la
non-ingérence du religieux dans le politique, et vice-versa. Bien. Mais il se
trouve que tous les intellectuels tunisiens (y compris –forcément!– les artistes
qui sont aussi des intellectuels puisqu’ils produisent de l’intellect, ou
quelque chose qui y ressemble…) se disent pour un Etat tunisien laïc. Or!… Or
comment est-ce que cet intellectuel –l’artiste– qui se dit pour la laïcité ne
respecte pas lui-même la laïcité?!… De quel droit est-ce que cet artiste laïc
se permet-il de ridiculiser la religion des autres?! … De quel droit?!… A quoi
rime cette laïcité qui permet à ses chantres de s’ingérer dans les affaires
religieuses des autres et au point de marcher dessus?! Au nom de quoi? De la
liberté?… Alors, voilà: la liberté des uns a provoqué la liberté des autres. A
la légèreté des uns a répondu la violence des autres.

Pour ce qui concerne l’affaire de Nessma TV, il y a lieu tout de même de
regretter que les choses aient atteint le seuil de la violence. Nabil Karoui a
après tout présenté ses excuses publiquement et au…public tunisien. Il fallait
quand même baisser les bras et se calmer. On ne gifle pas quelqu’un qui a fait
son mea-culpa, c’est grotesque et c’est très mal vu; c’est de la goujaterie pure
et simple.

Sauf que la violence qui a sanctionné les deux films incriminés comporte un
enseignement majeur, utile à savoir et à prendre en considération. Savez-vous ce
que se disent les grands intellectuels et les grands artistes tunisiens entre
eux?… Ils disent: «C’est à nous de révolutionner les esprits, c’est à nous
d’éduquer le peuple et de le sortir de son ignorance» (sic).

Première erreur: le peuple tunisien n’est pas ignorant; n’est ignorant que celui
qui veut le prendre pour tel.

Deuxième erreur: il n’y a pas un seul grand intellectuel tunisien qui ait
proposé au peuple tunisien une seule idée, une seule pensée originale; tout ce
que disent nos intellectuels n’est rien d’autre qu’un ensemble de clichés
importés d’Europe et de France très particulièrement. Tout ce que fait et dit
l’Européen et l’Occidental, on voudrait le calquer aveuglément, sans même
réfléchir, en faisant fi de notre identité, de notre religion, de nos habitudes,
de notre culture. Ce sont les Autres qui réfléchissent, et c’est nous qui
recopions stupidement. Pire: même lorsque les Autres se trompent, on tient quand
même à les singer. Il y a une bonne vingtaine d’années de là, l’éditorialiste de
la revue Le Point, Claude Imbert, écrivait un jour: «Les Maghrébins sont
malheureusement immatures: ils ne copient que nos défauts, jamais nos qualités».
Si seulement il savait à quel… Point il disait vrai!

Troisième erreur: révolutionner les esprits?… Soit. Mais tout doucement!
Doucement!… A trop vite aller en besogne pour révolutionner les esprits, on
n’a fait que heurter les esprits. Avec toute cette violence qu’on a provoquée,
l’on n’a fait que retarder cette ‘‘révolution des esprits’’ de 50 ans, sinon
plus. Car maintenant, à chaque manœuvre ‘‘progressiste’’ va répondre la
violence. Un cycle infernal que le plus sage serait d’y mettre un terme, et le
plus tôt serait le mieux. Cela dit, qu’est-ce qui fait croire à nos
intellectuels et pseudo artistes que nous sommes prêts à laisser de côté notre
religion? Pourquoi devrions-nous devenir chrétiens ou juifs ou bouddhistes ou
athées carrément? Pourquoi? Quel mal leur a fait l’islam? Comment ne se
rendent-ils pas compte que c’est EUX qui lui font du mal le plus gratuitement du
monde?!!… On ne combat pas l’obscurantisme noir par le blasphème ostentatoire;
là, les deux extrêmes ne peuvent que s’enliser dans un combat où il n’y aura ni
gagnants ni perdants. Inutile!

Parlons justement de ce cinéma tunisien. Et demandez-vous ceci: est-ce qu’une
scène d’amour est vraiment nécessaire dans un film? Est-ce qu’elle est vraiment
indispensable à la compréhension d’un film?… Or, depuis plus d’une quinzaine
d’années, il n’y a plus de film tunisien sans jambes (et ….) nues et sans scène
d’amour. Passe encore si la scène est bien tournée; pas du tout, hélas! Elle est
le ridicule porté à l’écran. Dans Bent Familia, par exemple, on voit Raouf Ben
Amor, entièrement vêtu d’un pyjama, en train, soi-disant, de faire l’amour à sa
campagne. Or, sa partenaire a gardé son soutien-gorge; puis, entre les deux
corps, il y a un espace d’au moins 5 centimètres gardé respectueusement le long
de la scène; et que fait Raouf Ben Amor? Il est exactement comme un sportif dans
une salle de gymnastique en train de faire une pompe au sol. Est-ce qu’elle
était nécessaire cette scène ridicule?… La vérité c’est que le cinéma européen
et américain a tendance à truffer chaque film de scènes d’amour. Les cinéastes
tunisiens ne réussissent jamais le tournage d’une scène d’amour, mais la
proposent quand même et n’importe comment, juste pour faire comme les autres.
Résultat: plus de 80% des Tunisiens ont boycotté le cinéma tunisien.

Donc, après le nudisme et l’érotisme –très mal filmés, du reste–, notre cinéma
cherche maintenant à s’attaquer à la religion. Bien. Très bien. Et c’est quoi le
prochain film? C’est-à-dire: quand éclatera le scandale suivant et quel bâtiment
va-t-on saccager encore?…