1Eric Pichet est chercheur, professeur d’économie et de finance, spécialiste en finance de marché, en économie monétaire et fiscale, en gouvernance d’entreprise et gouvernance publique. Nous avons profité de son récent passage à Tunis pour l’interviewer.
WMC: Depuis la crise financière et économique de 2008, il n’y a eu ni régulation ni moralisation des finances mondiales. Est-ce le signe d’un manque de volonté de la part des autorités régulatrices à travers le monde ou celui d’une incapacité avérée à moraliser le secteur financier et le système capitaliste ?
Eric Pichet: Tout d’abord, la crise a été annoncée durant l’été 2007, c’est celle du système capitaliste, dans lequel nous évoluons tous… Ce système traverse de temps en temps des crises de différents ordres qu’il faudrait d’ailleurs nuancer. Elles peuvent être les conséquences ou bien de la décision d’une Banque centrale d’augmenter les taux parce qu’il y a une surchauffe économique, auquel cas il y a ralentissement économique brutal suivi d’un redémarrage ou en raison d’un excédent d’endettement. C’est ce que nous vivons depuis 2007.
Le monde économique et financier finit toujours par sortir, mais lentement, de ces crises qui s’étalent généralement dans le temps. Nous pouvons considérer que la crise d’endettement enclenché par la faillite de Lehman Brothers a poussé les banques publiques à réagir comme il se doit. Elles ont réussi à faire repartir le système. La dette privée a été en partie reprise par les pouvoirs publics, banques et système bancaire, ce qui fait qu’aujourd’hui certains Etats sont trop endettés. Aux Etats-Unis, l’Etat est trop endetté, pareil pour les entreprises et les ménages ainsi que les banques et les collectivités locales. Le scénario rappelle celui de 1929. Ceci engendrera une croissance qui ne dépassera pas le 1% aux USA et en Europe et ce pendant au moins 4 à 5 ans, le temps que l’ensemble des acteurs se désendette.
Ces crises qui n’en finissent pas remettront-elles en cause le système capitaliste?
Le système capitaliste ne sera jamais remis en cause. Le capitalisme est amoral par essence. Réguler, assainir, purifier, sont des questions d’ordre moral. Le capitalisme est un mécanisme qui vit indépendamment de la morale et des acteurs agissants eux mêmes. Il se développe parce que tout le monde y trouve son intérêt. Personne n’a de prise sur lui. Si nous prenons l’exemple de la France, ceux qui y résistent et luttent contre son influence, ne dépassent pas les 15 à 20%. Ils restent minoritaires.
Vous pensez donc que toutes ces théories économiques, tous ces programmes qui parlent d’humanisation de la nouvelle économique et de moralisation du capitalisme sont utopiques?
Humaniser le capitalisme relève de l’idéologie, de la propagande et de la pure rhétorique pour s’attirer un plus grand nombre d’électeurs. Ceux qui le décrètent sont eux-mêmes dans l’impossibilité de modifier le système capitaliste ou de le moraliser.
Ce que nous pouvons faire, c’est tout juste améliorer la régulation du système bancaire. En France, à titre d’exemple, les banques n’ont jamais été en difficultés pendant et après la crise financière internationale, parce qu’elles étaient parfaitement bien régulées. Elles ne géraient pas beaucoup de produits subprimes et manageaient assez bien leurs différents produits et portefeuilles. Aux USA, les grandes banques avaient des volumes importants de subprimes. Pour la France aujourd’hui, le problème qui se poserait, se rapporterait plutôt aux dettes de l’Etat qui pourraient ne pas être remboursées. La véritable question que nous devons nous poser, c’est de savoir si les banques sont capables de supporter ce trop plein de dettes et trouver les solutions adéquates en cas de défaut de paiements.
La Grèce est-elle devenue un cas en matière de sur-endettement de l’Etat et les solutions européennes seront-elles efficientes selon vous?
La Grèce ne pourra pas rembourser ses prêts, c’est une évidence. Toutes les réformes engagées n’y changeront rien. Elle a atteint un niveau d’endettement jamais vécu dans l’histoire. Les économistes sensés savent que le remboursement n’est pas possible. Les officiels prétendent le contraire et déclarent qu’ils trouveront des solutions. Les banques européennes et surtout les banques grecques seront, elles même, poussées à rembourser, le cas échéant et il n’est pas dit qu’elles y survivront, elles perdront beaucoup au change.
Quels sont les pays européens aussi menacés que la Grèce par la crise de sur-endettement et en risque d’insolvabilité ?
Chypre mais elle ne pèse pas lourd sur le PIB européen, la Grèce et le Portugal pèsent chacune 2% du PIB européen ce qui n’est pas dramatique non plus. A eux tous, ils ne pourraient pas mettre en danger l’Europe. L’Irlande, l’Espagne, l’Italie et la Belgique ont la capacité de gérer leurs créances et pourront faire face à des crises éventuelles.
Y aurait-il des risques de cette crise sur les pays du Sud de la Méditerranée?
Pour les pays du Sud, je ne pense pas qu’il y ait des risques. Le seul problème qu’il pourrait y avoir est l’éclatement de la Zone euro, si par hasard, la Grèce sort de la zone euro, ce qui est peu probable. L’euro est une devise surcotée par rapport à sa valeur théorique, donc le fait même que ses taux tombent, le fait rapprocher de sa valeur réelle. C’est une devise très forte, une très belle réussite qui concurrence de plus en plus le dollar sur les marchés internationaux.
Le dinar tunisien est lié à l’euro, ce qui lui donnera une stabilité assez forte et il n’y aura pas d’incidence, si ce n’est qu’une croissance très faible réduira les exportations tunisiennes, ce qui n’est pas le cas à ce jour.
En Tunisie, les réformes s’annoncent progressivement, la convertibilité du dinar ne sera pas pour demain, il va falloir encore attendre quelques années pour que le pays soit plus compétitif.
Donc, non je ne pense pas que les pays de la rive Sud de la Méditerranée ou la Tunisie risquent grand-chose d’un manque de croissance européenne.