A l’occasion des élections de la Constituante, le Pôle Démocratique et Moderniste (PDM), un conglomérat de 4 partis politiques de gauche et de 5 associations, qui ont choisi de s’unir dans ce tohu-bohu, qui accompagne tous les traumatismes historiques, a réussi, nous dit-on, à battre le rappel de l’intelligentsia. Des artistes. Des chorégraphes. Des agitateurs d’idées. Des vedettes de l’esprit. Des traverseurs de frontières. Des chevaucheurs de mythes. Des passeurs au monde moderne. Des vecteurs de culture et d’opinion. Des intellectuels organiques… Ces insubordonnés méthodiques, qui ont donné, durant deux décennies, de l’urticaire à l’ancien régime. Eh! Oui… Au bel oiseau, dit-on, il faut une belle cage.
C’est ainsi qu’au cœur de la banlieue nord de Tunis, dimanche dernier, au meeting du PDM, organisé dans la salle couverte de Sidi Bou Saïd, le couple Fadhel Jaibi et Jalila Baccar, inventeurs du théâtre tunisien avant-gardiste, en compagnie d’autres stars des arts et de la culture, au rythme du chant des partisans italiens, ont donné de la voix, animé les gradins, prêché la bonne parole, appelé à la mobilisation, euphorisé les militants, exhorté à l’unité des rangs des démocrates, crié leur colère face au fanatisme ambiant et incité l’assistance à faire bloc contre la réaction et les relents de la dictature. Dans une ambiance de fête et de retrouvailles générationnelles.
«Seul le Pôle Démocratique et Moderniste(PDM), laboratoire d’idées et quintessence de l’âme tunisienne frondeuse et rebelle, est en mesure d’assurer au pays la continuité de son mode de vie, la coexistence des différentes sensibilités politiques, la réalisation des objectifs de la révolution de la liberté et de la dignité, la permanence des libertés individuelles et collectives, l’épanouissement des élites, la floraison de la création artistique et culturelle et l’avènement de la justice sociale», clame Fadhel Jaibi, qui met en garde l’opinion publique contre les manœuvres florentines des uns et des autres, stigmatise l’ambiance délétère liée à la projection du film «Persépolis» sur l’écran de Nessma.tv, se dit confiant dans les choix du peuple tunisien, souhaite le sursaut des forces progressistes et charge durement les fractionnistes, coupables, à ses yeux, de faire le jeu des obscurantistes, de renarder parmi les renards et de participer à l’émiettement de la grande famille de la gauche tunisienne.
De son côté, Jalila Baccar, radicale et sans concessions, pour qui le style est l’écume des choses, a exprimé dans un poème son amour pour la vitalité, le rêve, l’espérance et la vie. Tout en dénonçant l’intolérance, l’instrumentalisation de la religion, les coalitions de la honte, le jeu de dupes des forces centristes, les invectives déstabilisantes, la diabolisation des artistes, le terrorisme intellectuel en cours, la balourdise idéologique des conservateurs, les anathèmes des fous de Dieu et l’argent politique, corrupteur, insiste-t-elle, des volontés et des valeurs de la cité.
Avant de finir son intervention, la passionaria du Pôle Démocratique et Moderniste(PDM), pour qui la vocation de l’Homme libre est d’être le maître des vents et des flots, a lancé un appel aux tunisiens afin d’éviter les mythes consolateurs, de garder le cap au milieu de ces bourrasques heureuses, d’ouvrir les fenêtres de la vie, de se donner des repères, de réempoigner par les cheveux l’histoire qui va passer, d’imposer leur chance, d’aller vers leurs risques, de tenir tête aux débordements des idéologies rétrogrades et de remettre de la chronologie dans une société marquée par le «présentisme».
Finalement, me dit un confrère, apparemment acquis à la cause des organisateurs du meeting, en compagnie des artistes, les mots sont de simples outils. Tantôt armes, tantôt boucliers. Et il ne faut jamais oublier, insiste Jalila Baccar, dans une conversation en aparté, que les méchants parlent plus haut que les bons. Que la majorité silencieuse se laisse toujours intimidée par une minorité bruyante, qui sent sa force dans le besoin et le désir qu’à la majorité de vivre en paix.