10h00, au bord d’une route reliant Hammamet à Nabeul, une dizaine de jeunes distribuent les tracts d’Ettakatol. Comme eux, des centaines de jeunes arpentent les coins et les recoins de la Tunisie. A 12h00, sur toutes les places de République de la Tunisie, le parti signe son pacte Républicain. Le soir se tient un, puis deux et trois meetings populaires à la Cité El Khadra, à La Marsa, à Dar Chaabane… Récit. Amel Djait. www.mille-et-une-tunisie.com
Le parti qui, jusqu’au 14 janvier n’était qu’un front composé de dissidents, s’est au fur et à mesure transformé par le rajeunissement de ses militants et le travail de terrain dans le sillage d’un homme profondément démocrate appelant au respect de tous les Tunisiens et Tunisiennes et de la révolution. Ettakatol dont le symbole est un poisson aurait-il mangé du lion ?
Fortement pris à parti faisant l’objet d’accusation de coalition avec Ennahdha, Ettakatol est resté droit dans ses positions. Pas de coalitions avant les élections. Pas d’exclusions. Pas de ligue avec le principal adversaire et non «ennemi». Entre le proverbe qui dit «celui qui ne dit mot consent» et celui qui dit «inutile de parler à celui qui ne veut entendre», on hésite à choisir un titre à la campagne de dénigrement dont a fait l’objet ce parti. Un combat peut-être utile qui apprend aux uns et aux autres les jeux et enjeux de la politique. Reste que celle–ci est d’abord une question de valeurs et d’hommes.
Face à ce que certains veulent appeler la déferlante «nahdahouie», il y a des politiques qui savent écouter, intérioriser et rassembler. Comment Mustapha Ben Jaafar peut-il envisager d’exclure des Tunisiens? Comment peut-il s’impliquer à les dénigrer et participer davantage à la polarisation de la question politique tunisienne? Pour «Ettakatol», construire des coalitions c’est bien, sauf que ce n’est pas le moment! Découvrir qui est le parti aux yeux des électeurs et quel est le poids de chacun, c’est encore mieux!
Mustapha Ben Jaafar dit depuis des mois que la démocratie est un danger. Il a dit depuis des mois qu’il n’y aura pas de coalition avec Ennahdha. Ceux qui ravivent l’exclusion, sous couvert de faire front à Ennhadha, ne réaniment-ils pas l’épouvantail des islamistes politiques avec la même flamme que Ben Ali et ses propagandistes? Peut-on faire seulement confiance à un parti qui se sert des menaces pour faire pression sur l’opinion publique et les principaux protagonistes de la scène politique comme l’annonce Rached Ghannouchi depuis 48 heures? Qui veut mettre en péril la démocratie naissante? L’islamisme ne vit que dans un terreau marginalisant et le peuple tunisien saura dire par les élections que ce mouvement n’a pas une solution à tous leurs problèmes. Le système encore en place et qui s’y accroche devra se résigner le 23 octobre aux choix du peuple.
Certains dans leurs peurs en appellent à boycotter les élections. Entre Rached Ghannouchi, qui s’y voit déjà déclarant sur les plateaux de télévision qu’ils «gouverneront longtemps», et Ahmed Néjib Chebbi, qui s’inscrit dans l’opposition rejetant toute idée de gouvernement d’Union Nationale, et une majorité des indépendants qui n’ont même pas accroché une liste électorale et qui auront tout de même bénéficié de financements, on aura tout vu avant les résultats du scrutin!
Mais que se passe-t-il au fait? A j-3 de la Constituante, on en arrive à se demander pourquoi est-ce que des partis d’un même bord se battent-ils? L’enjeu? Le leadership du camp moderniste. Le moyen? L’exclusion et la peur. Les outils? Des égos surdimensionnés et de l’opportunisme.
Hichem Ben Yaïche, journaliste et géopoliticien, suit les élections entre un plateau Tv et une interview, soulignant que «le paysage politique est en train de se composer. Les partis politiques sont partis trop tôt et ce n’est que sur la dernière ligne droite que les véritables enjeux se révèlent. La population est inquiète face à l’inconnu. Elle a été marginalisée du débat, ne comprend pas les enjeux et le désenchantement risque de se faire de façon violente. La classe politique tunisienne naissante est restée dans une vision citadine et on observe des surenchères qui sont davantage des concentrés d’égos que de véritables structures politiques».
Ettakatol se bat et ira donc seul aux élections. Est-ce par excès de confiance, par maturité politique ou grâce à une réalité qu’il vérifie avec les électeurs? D’où Ettakatol tire-t-il sa détermination? Samy Razgallah est un jeune militant d’Ettakatol. Assureur, il est le coordinateur principal du programme Tourisme du parti. L’attitude d’Ettakatol à qui il a choisi de donner sa cofinance au lendemain du 14 janvier résume tout le processus révolutionnaire qu’il a en tête. «Le parti a choisi de rompre définitivement avec toutes les structures dictatoriales et la corruption en vue d’une Tunisie nouvelle en participant à sa construction à partir d’une politique avant-gardiste afin de rendre au peuple sa souveraineté, à l’Etat son prestige et au citoyen sa dignité».
En reprenant les mots de Mustapha Ben Jaafar, le jeune homme de 35 ans s’identifie à son militantisme et représente une nouvelle génération de Tunisiens qui ont choisi de s’impliquer dans la vie politique de leur pays. Faisant du terrain depuis des mois, il affirme que «le parcours de militant de Mustapha Ben Jaafar ne pourra lui permettre de faire volte-face et quiconque croirait qu’il serait en mesure d’hypothéquer la Tunisie et ses acquis ferait preuve d’un manque certain de discernement. Un gouvernement d’Union Nationale est obligatoire face à la situation du pays. Isoler des partis politiques, dénigrer le choix d’une partie de la population est dangereux. Ne dit-on pas que l’exclusion appelle l’exclusion? Le plus grand perdant ne serait-elle pas alors la Tunisie?».
Ettakatol a su faire de nombreuses mutations, notamment en permettant à des jeunes comme Razgallah d’émerger. Reste que des lenteurs dues aux manques d’exercice et à la structure d’un parti politique qui passe d’un parti d’opposition à un vrai parti de propositions en si peu de temps est une étape délicate. Selon que l’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide, cette étape permet l’émergence d’une nouvelle élite politique. Il lui manque de l’exercice. Elle a désormais tout le temps d’en faire!
Pour en revenir à Ettakatol et selon Hichem Ben Yaïche, «le parti a conquis pierre par pierre l’opinion, sans nervosité et cela a rassuré les gens. Reste que le parti vit de grandes mutations en son sein. Les prochaines étapes seront déterminantes pour le parti autant que pour la Tunisie». Un tournant que se prépare justement à négocier avec par exemple Ettakatol 2.0, un des exemples du changement qui est en cours.
Intégrant la modernité, le parti se déploie sur la toile autant que sur le terrain et parvient à conquérir les gens et à les mobiliser. Faut-il voir dans les campagnes de communication et les slogans du parti un signe de maturité? Faut-il voir dans la version audio pour les malentendants une volonté de ne marginaliser aucun des Tunisiens? Faut-il voir dans la non-identification du parti à la personne de Mustapha Ben Jaafar une véritable mutation? Le changement du nom du parti du FDTL à Ettakatol n’en était-il pas un des premiers signes?
Ettakatol rassure la petite bourgeoisie dans la laquelle la classe moyenne parvient à s’identifier facilement. Le test du 23 octobre est un tournant pour la Tunisie. Il est aussi un tournant pour le parti qui devra se restructurer. Au delà des luttes saines et internes, Ettakatol devra aussi trouver des financements plus conséquents pour face à ses ambitions et aux besoins d’un pays à reconstruire.