à Bruxelles (Photo : John Thys) |
[22/10/2011 10:23:35] PARIS (AFP) La crise de la dette pousse la zone euro à se réinventer, bien au-delà de la simple union monétaire qu’elle est pour l’instant, mais ce processus à pas comptés ou à marche forcée la place devant des choix démocratiques fondamentaux en pleine résurgence du populisme.
Après la seconde guerre mondiale, les Européens ont volontairement décidé de mettre en commun certains des pouvoirs dévolus jusqu’à présent aux Etats-nations afin d’assurer paix et prospérité à leur continent. Ce processus contrôlé et à pas comptés est désormais battu en brèche par l’irruption des marchés financiers. Ceux-ci réclament une intégration plus ambitieuse et surtout plus rapide pour éviter, assurent-ils, la disparition pure et simple de la monnaie unique.
Deux sommets européens ont été convoqués dimanche et mercredi dans cette perspective, avec le renforcement de la gouvernance de la zone euro parmi les trois grands sujets à l’agenda des dirigeants européens. Il s’agit avant tout d’améliorer le pilotage en commun de la zone euro, dont le pêché originel est l’absence de gouvernement économique, selon plusieurs économistes. Cela doit passer par un renforcement de l’intégration et de la discipline budgétaires.
Faute de cette indispensable coordination économique, les 17 pays de la zone euro naviguent aujourd’hui à vue, “en haute mer et ils n’ont pas d’autre option que de négocier maintenant les détails” de cette gouvernance économique, juge Jonathan Story, professeur à l’Insead, près de Paris.
Or, ajoute-t-il, “ces détails vont évidemment aboutir à des changements de traité”, ce qui signifie une navigation “dans des eaux inconnues pleines de dangers” avant toute solution politique d’envergure.
La nature économique de la crise et la réponse jusqu’à présent fragmentaire des Européens sont parvenues à dissimuler les véritables enjeux politiques, selon certains experts.
à Bruxelles (Photo : Georges Gobet) |
“La phase actuelle de la crise est essentiellement centrée sur la nature politique de l’Union européenne et de la zone euro”, explique ainsi à l’AFP Nicolas Veron de l’institut Bruegel, un centre d’analyse économique basé à Bruxelles.
“Partageons-nous le même destin jusqu’au point d’accepter une véritable solidarité financière ? Sommes-nous prêts à accepter que les principes fondamentaux des politiques budgétaire et économique nous soient imposés de l’extérieur ?”, se demande-t-il.
Cette question est brûlante, non seulement pour des pays sous perfusion comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, mais aussi pour des pays comme l’Italie ou l’Espagne. La lettre adressée en août par le président de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet au gouvernement italien, réclamant des mesures claires d’assainissement budgétaire, en témoigne.
— L’Europe à un moment “crucial” —
Les dirigeants européens font aujourd’hui, après l’avoir longtemps occulté, le même diagnostic: la zone euro soufre d’un manque de coordination budgétaire, de convergence en langage bruxellois, pour faire pendant à l’union monétaire.
Le remède a d’abord consisté à renforcer le Pacte de stabilité et de croissance, lancé en même temps que l’Union économique et monétaire, mais qui a été battu en brèche par ceux-la même qui le soutenaient, à commencer par l’Allemagne.
Cette réponse, décidée en pleine crise de la dette, est dans la tradition européenne des petits pas dès qu’il s’agit de céder sur sa souveraineté, juge sur ce point Mitchell Orenstein, politologue à l’Ecole des hautes études internationales de Washington.
Beaucoup considèrent désormais ces “petits pas” comme très insuffisants, à commencer par la Banque centrale européenne (BCE). Celle-ci plaide depuis des mois en faveur d’un “pas de géant” vers l’intégration économique, jugé indispensable pour ramener la confiance et la stabilité.
La BCE, la France, et quelques autres pays, dont l’Allemagne qui s’est ralliée aux vues françaises, appellent de leurs voeux la création d’un gouvernement économique en Europe, ou à tout le moins d’un ministre des Finances ayant le pouvoir de s’imposer aux Etats membres.
L’Europe est aussi sous la pression de ses partenaires dans le monde, Etats-Unis en tête, pour en finir une fois pour toutes avec une crise devenue “systémique”, car menaçant désormais le reste du monde.
Mais on est encore loin du lancement des “Etats-Unis d’Europe”, faute de soutien des peuples et de volonté politique, juge l’agence de notations Fitch Ratings, dans une étude récente. L’agence franco-américaine estime d’ailleurs qu’un tel saut fédéraliste n’est pas nécessairement indispensable pour éviter l’éclatement de la zone euro. Une solution à mi-chemin est probablement ce qui sera mis en place, selon Fitch.
Nicolas Veron considère en revanche que “la crise actuelle ne pourra pas être résolue sans une forme explicite et acceptée de fédéralisme budgétaire” et que ce changement interviendra avec la même ampleur que celui intervenu avec le traité de Maastricht, à l’origine de la naissance de l’euro.
Mais revenir devant les électeurs, pour approuver un nouveau traité, n’est pas sans risque. La dernière tentative de réforme ambitieuse, sous la forme d’une Constitution européenne, s’est soldée par un échec en 2005 avec son rejet par les électeurs de plusieurs pays, dont la France. Le traité de Lisbonne, version édulcorée de cette constitution, n’a été adopté qu’au terme d’un parcours du combattant.
Les pays riches du “nord” expriment de plus en plus leur lassitude à payer pour les pays du “sud” dépensiers. La Finlande et son parti des Vrais Finlandais a exigé des contreparties avant de contribuer au nouveau plan de sauvetage de la Grèce et la Slovaquie a fait chuter son gouvernement avant d’approuver le renforcement du fonds d’aide européen.
— L’Europe doit écrire une “nouvelle histoire” pour éviter un “retour de bâton”
Pour Vivien Schmidt, professeur d’Etudes européennes à la Boston University, les atermoiements finlandais ou slovaques s’expliquent aussi par le manque de leadership européen.
Jusqu’à présent, les dirigeants européens ont essentiellement fait passer un message négatif en assénant, sans aucune explication, qu’il n’y a pas d’alternative à la politique actuelle visant à “sauver l’euro” sous peine de désastre.
“Sans un nouveau script, qui soit positif, les dirigeants européens ouvrent grand la porte à l’extrême droite, aux forces populistes qui disent ne plus vouloir payer pour les autres”, relève Vivien Schmidt.
De plus, le contexte n’est guère favorable alors que nombreux Européens sont appelés à accepter de plus en plus de sacrifices et que certains Etats sont contraints de se serrer davantage la ceinture.
Dans certains pays de la zone euro, des politiques sont aussi à l’oeuvre qui remettent en cause l’Etat providence, auquel de nombreux Européens sont pourtant très attachés, souligne ce chercheur.
Antoin Murphy, professeur au Trinity College de Dublin est cependant plus optimiste sur les perspectives de parvenir à une union budgétaire comparable au transfert “massif” de souveraineté qu’a pu constituer le lancement de la monnaie unique.
“Si vous regardez l’Histoire de l’Europe depuis les années 50, c’est une histoire de succès toujours plus grands” en dépit de crises régulières qui ont contraint les dirigeants européens à faire preuve de volonté et de vision.