Le 23 octobre 2011. 7h 30 du matin. Une file interminable déjà et le bureau de
vote vient d’ouvrir ses portes. Des femmes d’un certain âge en sefséri, elles
sont assises par terre contre le mur, car ne supportent pas d’être debout
longtemps. A peine arrivée des gens me disent bonjour, des gens que je ne
connais pas. Ma fille me demande «qu’est-ce qu’on fait maman?». Je lui dis que
ca s’appelle les élections… et elle s’est mise à me chanter le refrain qu’elle a
appris depuis le mois de janvier «Ach3ab yourid ! Eskat annidham!», elle a pensé
qu’il s’agissait de la même chose. Oui à peu près ma fille.
Contrairement à ce qui se passe d’habitude dans les administrations ou les
bureaux de poste, les gens font la queue tranquillement, avec le sourire même,
et profitent de l’occasion pour discuter. Je n’ai jamais vu cela. Je suis si
émue. Je suis si émue en ce jour historique. Nous sommes le premier peuple du
Printemps arabe à y aller pour de bon. Mon cœur est gros de l’espérance que la
sauce prenne, que l’on réussisse. Nous laissera-t-on réussir? Le monde nous
regarde. De cette sauce dépendra peut-être le sort de beaucoup de peuples, de
beaucoup d’humains qui en ont marre de la misère et de la dictature. Et pas
uniquement des peuples arabes…
Ma voisine de file, une femme très ordinaire, m’avoue qu’elle a le niveau de
sixième année primaire, et pourtant, dit-elle, elle a tout compris. Elle se met
à discuter des discours d’untel et de untel, à les comparer, à sortir le vrai du
faux. C’est extraordinaire ce qui se passe. On aura au moins gagné cela.
Tout le monde s’intéresse à la chose politique. Tout le monde se met à discuter
des politiques économiques qu’il faut mettre en place, ce qu’il faut faire des
terres agricoles délaissées, ce qu’il faut faire pour le chômage, etc.
Nous Tunisiens, sommes tous/toutes allés votés ce matin. Nous portions nos mains
sur le cœur. Nous sommes tous émus. Euphoriques. Prenez gare hommes et femmes de
ce pays qui vous êtes présentés aux élections. Prenez gare car on vous a donné
quelque chose de très précieux, qu’on n’a jamais eu auparavant, et on vous l’a
donné. Prenez gare, le pays, notre avenir, sont entre vos mains. On vous a fait
confiance. Ne trahissez pas cette confiance. Soyez à la hauteur. Il fait si beau
ce matin de 23 octobre 2011. Faites en sorte qu’il fasse toujours beau, dans nos
cœurs.